D’une situation très classique (un père vient chercher sa fille dont il a la garde partagée), le réalisateur roumain Radu Jude tente de capter la fracture irrémédiable qui va provoquer le dérèglement d’une situation ultra-ordinaire. Quasiment en temps réel, privilégiant la caméra à l’épaule et la nervosité du montage, Papa vient dimanche évite les automatismes liés à un dispositif minimaliste pour faire ressortir l’humanité tragique de ses personnages.
Réalisé avec peu de moyens, Papa vient dimanche fait d’une contrainte liée aux lieux de tournage un argument de mise en scène. Essentiellement limitées à trois lieux de vie, la majeure partie des scènes du film établissent une géographie des territoires : l’appartement de Marius, lieu fonctionnel et affectivement désinvesti, l’appartement de ses parents, lieu de tension où se cristallisent toutes les frustrations, et enfin l’appartement où vit sa petite fille Sofia, une autre rive dont Marius se sent violemment exclu. Ce troisième territoire restera pendant de longues minutes un hors-champ fantasmé auquel est rivé le personnage d’Otilia, ex-femme diabolisée, contrechamp imaginaire et détesté de Marius et de son propre père. Avant de confronter le couple séparé, Radu Jude introduit d’abord son personnage principal, condensé de nervosité et de grande fragilité. Essoré par le travail et complètement fauché, Marius décide néanmoins de s’accorder un peu de vacances pour emmener sa fille dont il a la garde pour quelques jours. Seulement, le programme ne se déroule pas tout à fait comme prévu : après s’être accroché avec un père autoritaire et caractériel auprès de qui il quémande un vieux véhicule, Marius débarque chez son ex-femme où son nouveau compagnon et son ex-belle-mère lui annoncent que sa fille, alitée, ferait mieux de ne pas sortir. L’homme finit par prendre son mal en patience et attend le retour de la mère de Sofia, absente depuis son arrivée.
Toutes les conditions sont réunies pour qu’une situation source de malentendus et amplifiée par un persistant problème de communication devienne littéralement explosive. Si Marius sait dans un premier temps gérer son impatience, son parcours du combattant est néanmoins parsemé de petits pétards menaçants : mal considéré par le nouveau conjoint d’Otilia, il se réfugie derrière l’enthousiasme de Sofia pour suspecter la mère de mauvaise foi. L’absence pesante de cette dernière ne fait qu’amplifier la frustration d’un père qui ne parvient pas à trouver le bon interlocuteur (l’autre tuteur légal) pour définir sa place. Son angoisse, Marius la compense par un flot ininterrompu de paroles, de gestes plus ou moins brusques traduisant soit une impatience immature, soit une inquiétude face à ce qui se dérobe : la possibilité d’emmener sa fille au bord de la mer, d’en avoir la pleine responsabilité pendant quelques longues heures. Il est toujours tentant de prendre parti : sans le contrepoint attendu dans un premier temps, le réalisateur offre une lecture des événements favorables au père démuni et malmené, donnant le sentiment que cette mise en situation (essentiellement incarnée par un beau-père maladroit dans l’affirmation de son autorité) va à l’encontre du bon droit, celle d’un homme qui souhaite pouvoir exercer son droit de visite.
Mais tout l’intérêt de Papa vient dimanche est justement de ne pas tenter de faire le procès de qui que ce soit. Ancien assistant de Cristi Puiu (La Mort de Dante Lazarescu), se revendiquant de John Cassavetes ou Maurice Pialat, Radu Jude prend le parti d’épuiser chaque situation : les mots se répètent et les justifications s’enlisent au point d’empêcher toute lecture objective de la scène précédente. Pourtant, Marius, dans son désespoir, souhaiterait interagir sur la subjectivité de ses interlocuteurs : convaincre le nouveau compagnon de son ex-femme qu’il ne l’a pas intentionnellement blessé avec la porte d’entrée, persuader sa fille qu’il n’est pas l’homme méchant et agressif dont elle souhaite momentanément se protéger. La prise à partie est systématique, empêchant chaque personnage de prendre le recul nécessaire. Les mots sont ici source d’incommunicabilité, enfermant chacun dans une posture qui l’éloigne toujours un peu plus de l’autre. Des dérapages de Marius à l’obstination froide d’Otilia, Radu Jude met en scène – quasiment en temps réel – cette fracture, celle qui pousse un homme jusqu’au point de non-retour. Dans Papa vient dimanche, la culpabilité est synonyme de profonde solitude et stimule une fuite en avant désespérée et dépourvue de sens. Toute échappée semble perdue d’avance. Marius souhaitait retrouver une place et gagner l’estime de ceux qu’il côtoie. Mais pris dans une spirale infernale, il devient un étranger dans la foule qui n’a plus que l’anonymat pour fuir le mépris qu’il a provoqué.