La consternation qui nous accable devant une bonne partie du Pape François : un homme de parole le dispute à l’attrait évident de son sujet. Manifestement subjugué par la personnalité publique et la communication de l’évêque de Rome actuellement en exercice, Wim Wenders, lui-même catholique converti au protestantisme, met sa caméra au service de cette publicité – avec la bénédiction du Vatican coproducteur. Si l’idée pourra irriter a priori les spectateurs anticléricaux, ce sera au détriment de son intérêt bien réel. Comme Jean-Paul II en son temps, François se montre le parfait VRP de l’Église catholique, captant l’attention des médias en se positionnant publiquement et avec un certain sens de l’équilibre entre sa base conservatrice et la marche du monde. En particulier, il a su se démarquer en mettant en avant ce qui le distingue d’emblée de ses prédécesseurs : ses origines non européennes, sa formation chez les jésuites, et surtout l’inspiration de son nom de règne par Saint François d’Assise comme gage décisif de modestie et de proximité avec les défavorisés. Aussi, même au sein d’une entreprise ouvertement non neutre – voire propagandiste, approcher ainsi la technique de prêche d’un animal politique et spirituel aussi singulier reste indéniablement intéressant. Et de fait, les moments qui justifient l’existence du Pape François : un homme de parole sont précisément ceux où, assis sur un de ses sièges papaux, le sujet délivre posément son discours à l’adresse du film. Posant face caméra un regard particulièrement intense, choisissant ses mots avec soin et patience en leur donnant l’accent de la conviction personnelle, il donne à apprécier les éléments d’une rhétorique d’une redoutable efficacité.
Le charisme de Jorge Mario Bergoglio suffit-il à surmonter les tares de ce film dédié à sa gloire ? Rien n’est moins sûr, le souverain pontife ayant affaire à forte partie : un réalisateur persuadé depuis trop longtemps que son art doit se signaler au-dessus de son sujet. Fidèle à lui-même, Wenders continue de considérer que faire du cinéma revient à « faire cinéma », que traiter un sujet par les moyens du cinéma doit nécessairement être une démonstration de la puissance de celui-ci. Si cette posture afflige, c’est parce qu’elle échoue à susciter autre chose que des effets ostentatoires par-dessus le discours au premier degré du film – ici, une écoute béate. Cela va d’un éprouvant surlignage musical des images d’archives à un premier et un dernier plan sur le Vatican en time-lapse (eh oui, là-bas aussi, le temps passe…), pour culminer dans l’inepte avec des scènes de reconstitution de la vie de Saint François d’Assise. Il faut le voir pour le croire : imitations grossières des débuts du cinéma (muet, noir et blanc tremblotant) où de malheureux acteurs en robe de bure sont tenus à des mimiques de béatitude sans grâce (n’apparaissant autrement que ce qu’elles sont : singées), ces scènes d’un comique bien involontaire renvoient moins à l’origine du nom du pape ou à celle du cinéma qu’à la conception triste et embarrassante de celui-ci par le réalisateur des Ailes du désir, agitation de formes qu’il considère plus pour leur statut de fétiches pour illustration cinéphile que pour le moyen qu’ils offriraient d’appréhender le monde. Inutile d’ajouter que le problème qu’il pose de nouveau ici sur son travail ne rend pas service aux promesses de son film.