Portrait d’Anselm Kiefer, ce nouveau documentaire réalisé en 3D par Wim Wenders après Pina convoque la stéréoscopie comme une manière de retranscrire l’art du plasticien allemand, célèbre pour ses œuvres en relief rappelant tour à tour des squelettes (pour ses mannequins en ferrailles), des ruines (pour ses fameuses maisons empilées) ou des terrains vagues (pour ses fresques néo-expressionnistes). Le prologue d’Anselm est en cela la partie la plus enivrante du film. Dans un pur geste de modelage de l’espace et de la matière, le cinéaste y magnifie les sculptures fantomatiques et les toiles monumentales de son compatriote, en tournant autour sans jamais les dévoiler entièrement ou tenter d’en percer tous les secrets. C’est dans ces scènes, qui frôlent la déférence, que Wenders convainc le plus, lorsqu’il filme par exemple l’artiste au travail, brûlant au lance-flammes une toile gigantesque. La 3D de Wenders et la pratique de Kiefer se répondent l’une et l’autre : la perception du volume et des anfractuosités permet d’apprécier, avec une netteté et une précision foudroyantes, la transformation progressive de la matière, qui se gonfle ou au contraire s’aplanit.
L’affaire se gâte toutefois quand Wenders fait à son tour l’artiste (avec moins de talent). À maintes reprises, le cinéaste entrecoupe son récit d’archives télévisées anecdotiques ou imagine, dans des scènes de reconstitution gênantes de platitude, la jeunesse et les pères spirituels d’Anselm Kiefer (Martin Heiddeger, Paul Celan, etc.). Dans ces passages peu inspirés où la 3D se fait plus cosmétique, le portrait de l’artiste au travail laisse place à une psychanalyse qui s’accompagne des poncifs habituels – l’enfance apparaît comme un espace en ruines que l’adulte solitaire cherche à reconstruire, envers et contre tous. Matinée d’égocentrisme (les ailes d’une sculpture de Kiefer sont filmées de manière à évoquer sans détour celles des Ailes du désir), la conclusion d’Anselm enfonce le clou et livre une clef de lecture au ras des pâquerettes : si Kiefer est obsédé par le travail de l’espace et de la matière, c’est parce qu’il cherche à combler un vide. Paradoxalement, c’est lorsque Wenders cherche à sonder en profondeur l’intériorité de l’artiste qu’il reste à la surface de son art.