Belle initiative que cette sortie en salles du tout premier film de Ryūsuke Hamaguchi, un an après la double découverte de Senses et de Asako I&II. Si le film a beau dater de 2008 et constitue à l’origine le projet de fin d’études d’Hamaguchi, il ressemble à une étrange contraction de ses deux derniers longs-métrages, en préfigurant Senses par la peinture d’un groupe régi par une circulation d’affects et Asako I&II dans son approche des oscillations du cœur. Hamaguchi pourrait être considéré comme un moraliste dans la perspective où ses personnages sont en quête de réponses, butent sur de nombreuses hésitations (Qui suis-je ? Qu’est-ce que l’amour ? Mes désirs peuvent-ils se réaliser au détriment de ceux des autres ?) et finissent par embrasser la belle saleté inhérente à la vérité : l’amour n’y est guère affaire d’idéal mais d’honnêteté partagée et de petites trahisons acceptées. Passion s’avère en cela un film d’abord étrange, voire franchement heurté (à l’image de cette main frappant une vitre lors de l’apparition du titre), qui semble graviter autour d’un point aveugle. Le film s’ouvre sur l’enterrement d’un chat puis réunit les différents personnages autour d’un dîner, au cours duquel deux d’entre eux annoncent leur mariage, annonce qui dérègle d’emblée l’harmonie affichée du groupe et révèle des sentiments tus. La superposition des deux « cérémonies » (des funérailles diurnes, des fiançailles nocturnes) précède ainsi une longue errance urbaine où les premiers marivaudages, attractions nouvelles et glissements des caractères s’organisent au sein de séquences de dialogues et de flirts.
On reconnaît là le talent d’Hamaguchi pour construire ses récits sur une série de décélérations et de ruptures de tons qui sont aussi la condition d’un processus, ici un cheminement vers un horizon qui relèverait moins de la stricte transformation morale (même la scène finale accouche d’une ultime torsion sentimentale) que de l’acceptation de la nature intrinsèquement composite des affects. Le film lui-même procède d’une recherche qui consiste à suivre progressivement, au creux du chaos apparent, un chemin qui n’en demeure pas moins irrémédiablement sinueux. Les personnages convergent ainsi vers une lumière blanchâtre, un peu impure mais qui révèle ce qui restait non dit (cf. la scène sur les quais où un personnage confesse son amour à une amie). Là où la nuit est le théâtre des petites tromperies et des doutes, le jour laisse place à la gueule de bois ainsi qu’à la mise en terre des fautes et des certitudes estompées. Bien qu’un peu inégal, ce premier film confirme l’intérêt d’un cinéma à la fois joueur et minutieux dans sa manière de sonder les nuances, parfois complexes ou en apparence opaques, des liens sentimentaux.