Il y a un an de cela, l’abyssal Loft avait ébranlé la conviction des plus farouches admirateurs de Kiyoshi Kurosawa, avec son maniérisme énervant et sa tendance au vide absolu. Fort heureusement pour eux, le réalisateur revient avec Retribution à ses thématiques sombres de la solitude et de l’abandon, qui lui avaient déjà inspiré le splendide Kairo, en poursuivant de façon intéressante la réflexion entamée par le cinéma sur sa société.
L’officier de police Noboru Yoshioka se trouve affecté à une enquête concernant le meurtre d’une jeune femme. Très rapidement, il commence à nourrir des doutes sur sa propre innocence, alors que les indices compromettants pour lui se multiplient, et que la victime finit par venir le hanter. Pendant ce temps, les meurtres similaires se multiplient, avec, semble t‑il, des meurtriers différents, mais toujours la même méthode…
Le cinéma de Kiyoshi Kurosawa est très certainement un cinéma spectral : les morts, le passé, mais aussi et surtout leur propre culpabilité et leur propre solitude hantent ses personnages. Comme chez George Romero, les morts sont omniprésents, et plus effrayants par l’image qu’ils nous renvoient de nous-même, que par leurs actions propres. Dans Cure comme dans Séance, les ombres du passé ne sont jamais que les manifestations des actes révolus des protagonistes (ou de la société dans laquelle ils évoluent). Dans Kairo, probablement le point d’orgue de la filmographie symbolique et fantasmagorique du réalisateur, les vivants qui se laissent aller au désespoir, à l’abandon et à la solitude ne sont plus, dès lors, que des morts en puissance. Chaque vivant porte en lui ses fantômes. L’officier Yoshioka, dans Retribution, affligé par des visions fantomatiques n’a pas, lui, la possibilité rassurante de se raccrocher au caractère familier de ces apparitions : la véritable terreur est qu’il ne sait pas réellement la raison pour laquelle le sinistre spectre en rouge le hante. Et Kurosawa de poursuivre son discours sur l’isolation moderne, avec un récit doux et calme dont la beauté ne se révèle que dans la seconde partie. Car, pour la première fois dans la filmographie qu’on lui connaît dans nos contrées, le cinéaste ne pénètre pas de plain-pied dans l’étrange et le surnaturel avéré : la transition se fait cette fois d’une façon surprenante, d’une douceur inaccoutumée, qui ne fait que renforcer le caractère passablement sinistre et désespérant du récit.
Tout est affaire de rythme et de scènes en opposition dans Retribution : la mondanité des scènes d’enquêtes s’alterne avec l’envoûtante candeur des scènes conjugales, l’angoisse latente des séquences, toujours plus tendues, où Yoshioka s’interroge toujours plus sur sa culpabilité avec les moments d’étrange sérénité lors des différents meurtres… Parsemé de plans qui évoquent Charisma et son esthétique picturale proche de l’abstraction, le film joue subtilement de ces alternances pour instaurer une résonance entre les scènes, et transposer dans l’embrassade abandonnée de Yoshioka et de sa femme l’intensité d’un meurtre qui le précède. Réussissant le tour de force de créer une véritable tension grâce à son montage et à sa mise en scène dans un récit pourtant extrêmement lent et enclin à l’inertie, le film fait montre d’une maturité dans la narration qui manquait peut-être même à Kairo. Porté par l’interprétation toujours impeccable de Kôji Yakusho et celle, discrète mais marquante, de Mamani Konishi, Retribution poursuit le propos de Kairo, mais garde son identité propre. L’œuvre de Kurosawa prend avec ce nouveau film un tournant pour le meilleur, du point de vue de la stylistique visuelle, mais c’est aussi une évolution des plus ténébreuses pour la vision du monde proposée par le cinéaste.