La distribution en France des films de Kiyoshi Kurosawa reste un mystère. Séance, sorti chez nous en 2004, date de 2000, un an avant Kairo, sorti en 2001. Après le choc de ses trois premières sorties (Kairo / Cure / Charisma), la moindre qualité des films distribués en France semble plus indiquer une volonté des distributeurs de faire régulièrement l’actualité plutôt qu’un choix artistique fondé. Dommage.
Reiko Haruna, jeune auteur à succès, choisit de se mettre au vert loin de Tokyo, dans une maison isolée trouvée par son éditeur. Elle rencontre là-bas un homme mystérieux, et découvre rapidement qu’il a avec lui une momie millénaire, extraite des boues d’un marais voisin. Dès lors, alors que le comportement de son éditeur se fait toujours plus étrange, ils se laissent aller tous les deux à leurs obsessions toujours plus fantasmagoriques. L’isolement qui est le leur ne fait qu’aggraver les choses.
L’horreur, chez Kiyoshi Kurosawa, est toujours affaire de hors-champ. Autant physiquement que scénaristiquement, l’individu est isolé, et l’horreur n’est jamais plus présente que dans la solitude, loin du regard des autres : dans Kairo, par exemple, les individus ne disparaissent qu’une fois laissés seuls, et le simple fait que son amie lui tourne le dos condamne une protagoniste. Loft n’échappe pas à la règle : la caméra d’un narrateur omniscient est le seul regard à pénétrer les univers angoissés des protagonistes solitaires. Cette fois, cependant, le doute s’installe dès le départ : Reiko vomit-elle réellement de la boue ou est-ce une manifestation physique fantasmée de ses angoisses ? Y a‑t-il réellement une présence inconnue et hostile dans sa maison ? Makoto Yoshioka, son voisin, a‑t-il vraiment vu bouger la momie ? Cultiver un doute semblable a fortement contribué à la réussite de nombreux scenarii, tels que L’Exorciste, Rosemary’s Baby ou Blade Runner. Mais la subtilité que réclame un tel exercice de style semble manquer à Kiyoshi Kurosawa. Après une première partie plutôt convaincante, il perd rapidement la maîtrise de ses nombreuses narrations parallèles et ne parvient plus à maintenir l’ambiguïté.
Le rythme lent choisi par le film – qui fait près de deux heures – le dessert alors que la première partie était parvenue à engager efficacement la descente aux enfers intérieurs de ses protagonistes – avec notamment la formidable séquence de la « nuit avec la momie », proprement terrifiante. La seconde partie, en choisissant d’expliciter par le menu les angoisses de Makoto Yoshioka perd toute la tension accumulée et cesse de capter l’attention. S’installe alors un ennui rapidement renforcé par les allers et retours entre réalité et fantasme d’une redoutable vacuité.
Kairo, Charisma et Cure choisissaient de ne rien expliquer. Quelle conclusion tirer du geste final de policier Kenichi Takabe dans Cure ? Quelles forces présidaient aux terribles événements de Kairo et Charisma ? Nul ne le sait. À l’inverse, Loft choisit d’insister sur la cohérence concrète de son univers, et de ce fait flirte parfois avec la ringardise (les scènes « romantiques » étant un summum). Mais surtout, le film se trouve alourdi par les incessantes scènes démonstratives et sombrement explicatives.
Avec Loft, Kiyoshi Kurosawa tourne le dos à ce qui rendait ses trois « premiers » films français formidables et terrifiants : un sens de l’ellipse à toute épreuve et un rythme soutenu. Plus le temps passe et plus l’on en vient à se demander dans quelle mesure les trois chefs-d’œuvre qui l’ont fait connaître en France ne sont pas la partie émergée d’un l’iceberg cinématographique stakhanoviste (il a tourné 27 films en 23 ans, allant parfois jusqu’à en sortir trois par an) bien plus médiocre que ces premiers films ne le laissent penser. C’est un doute dont on se serait bien passé.