Que pouvait-on attendre d’un nouveau Scream, dix ans après la sortie d’un quatrième volet tardif, déjà un peu à bout de souffle ? Pas grand-chose. Peut-être même : presque rien. Revenir à Woodsboro, retrouver Ghostface, Sidney Prescott et Gale Weathers, c’est rouvrir les portes de ce qui ressemble aujourd’hui à un grenier de l’horreur, là où les vieux jouets de Wes Craven attendent, comme ceux de Toy Story, la résurrection. Arrivant bien après l’âge d’or de la franchise (l’époque de la première trilogie : 1996-2000), le film ressemble dès lors à un drôle d’objet : on pourrait le définir superficiellement comme un épisode de trop, un reboot paresseux du premier volet, mais le parcours qu’il propose n’est pas aussi simple à décrire. C’est autant une expérience de l’échec, actant que la formule Scream ne fonctionne plus (et ne fonctionnera peut-être plus jamais), qu’une tentative de reproduction nostalgique des meilleurs moments de la saga, pastichés presque pour mémoire.
Tout recommence donc comme en 1996 : même cadre domestique faussement rassurant (une jeune fille seule dans une cuisine), même jeu autour du téléphone (qui sonne comme avant), même questionnaire pervers (« quel est ton film d’horreur préféré ? ») comme prélude à l’apparition attendue de Ghostface. Le pastiche, impeccable, n’ignore cependant pas la variation, le décalage : en 2022, la proie de Ghostface ne se fait plus chauffer du pop-corn avant de regarder un film d’horreur, elle échange des SMS sur son smartphone, dispose d’une application lui permettant de verrouiller en un seul clic toutes les portes de la maison, et surtout – c’est le changement le plus important –, elle n’aime plus les slashers. Halloween, Vendredi 13 et Les Griffes de la nuit ont été remplacés dans sa liste de films préférés par Mister Babadook, The Witch et Hérédité. Soit trois représentants d’un cinéma d’horreur psychologique, se prenant parfois très au sérieux, et dont on a déjà pointé dans ces colonnes les limites. En somme, la spectatrice de 2022 aime, selon ses propres mots, le cinéma d’horreur à message, elle parle de Babadook comme d’un « film sur le deuil et la maternité » ; le harceleur anonyme qui dérange sa conversation Messenger n’est donc qu’une figure démodée, ringarde, vieux symbole d’un cinéma d’horreur industriel qui, à l’exception des productions Blumhouse, s’est globalement effondré depuis une dizaine d’années (Scream 4 était déjà, en 2011, le volet le moins rentable de la saga).
La maison non-hantée
Ce nouveau Scream est ainsi d’emblée condamné à n’être que l’ombre de lui-même : ni tout à fait un reboot, ni tout à fait une suite, il se désigne lui-même comme un requel – étiquette bizarre qui caractérise bien sa nature d’objet hybride, à la fois nostalgique et contemporain. À l’image de la plupart des épisodes tardifs de sagas populaires, il déterre des figures historiques – le trio formé par Neve Campbell, Courtney Cox et David Arquette – et se contente d’observer sur leurs visages les effets du temps. J.J. Abrams ne s’y était pas pris autrement au moment de lancer le septième volet de Star Wars : il savait que les figures du passé (Harrison Ford, Carrie Fisher, Mark Hamill) assuraient une continuité historique. C’est l’effet Toy Story : le spectateur aime bien retrouver ses jouets. Le problème consiste à leur faire une place dans l’histoire – et dans le cas de Scream, leur retour est particulièrement délicat car le slasher, même ironique et poussé à son plus haut degré d’autoréflexivité, a toujours aimé l’adolescence, la jeunesse, la chair fraîche. Le retour de Sidney Prescott – dans le registre de la quadragénaire badass, comme Sigourney Weaver dans Alien 4 – apparaît dès lors comme une anomalie dans le programme du genre. Confrontée à une nouvelle génération d’acteurs (les deux comédiennes principales se sont fait connaître dans des séries) et de spectateurs (il n’est pas certain que Scream soit une référence pour le jeune public qui plébiscite aujourd’hui Conjuring et Midsommar), elle erre un peu à l’intérieur du film. Et nous rappelle surtout que nous avons vieilli : nous sommes devenus les spectateurs d’un slasher fatigué, usé, presque à l’agonie.
Halloween Kills de David Gordon Green était confronté récemment au même déclin : Michael Myers y apparaissait comme une figure étrangement absurde, tuant, faute de mieux, pompiers et électeurs trumpistes ligués contre lui dans une croisade grotesque. Les tueurs cachés sous le masque de Ghostface en sont aujourd’hui à un stade analogue : n’aimant plus assez le cinéma d’horreur pour concevoir une suite digne des épisodes précédents, ils se sont réfugiés dans le passé de la saga (un détail amusant signale qu’ils se sont rencontrés sur un site de fans de Scream) et le rejouent, jusque dans le décor de la maison de Stu Macher, là où se terminait le tout premier épisode. La méta horreur, qui a depuis toujours été la marque distinctive de Scream, ne produit plus ici qu’un jeu grotesque entre passé et présent : le fantôme de Billy Loomis a beau faire signe à ses enfants, il ne hante pas le film. Chaque personnage du passé, à commencer par Dewey (David Arquette),doit alors reconnaître son obsolescence et disparaître dans la grande déchetterie de la saga. Après la mort de Ghostface, une nouvelle final girl rappellera, en écho à la scène d’ouverture, qu’elle préfère définitivement Babadook.