Halloween de John Carpenter est de ces rares films inusables, qui ne reposent guère sur la surprise initiale ou la découverte à la revoyure de nouveaux motifs et de détails cachés, mais bien sur le plaisir, à chaque fois rejoué, d’une mise en scène d’une économie fondée sur une latence de l’action, un goût pour l’observation et la patience d’une force implacable, Michael Myers, la peur personnifiée et réduite à sa plus limpide expression – the shape, comme le précisait le générique. Il est en cela logique que le film ait connu moults fils narratifs et déclinaisons ; on l’oublie un peu, mais la franchise Halloween articule désormais pas moins de trois trames temporelles distinctes (celle tissée par les suites 2, 4 et 5, une autre composée du volet 2, d’Halloween, 20 ans après et d’Halloween : Resurrection, puis enfin celle développée par David Gordon Green), dont l’unique socle commun reste le film de Carpenter. À l’heure des remakes, suites et reboots en tout genre (se souvenir, il y a quelques semaines, de la sortie du nouveau Candyman), la découverte de cet énième Halloween pose une question inévitable : pourquoi donc encore revisiter ces figures emblématiques du cinéma de genre ? Pour refaire les mêmes films ? Si Candyman, tout cynique et maladroit qu’il soit, tentait d’emprunter une autre voie que celle du film de Bernard Rose, le cas de Gordon Green est plus retors, le film embrassant une pulsion post-moderne par endroits ouvertement fétichiste, comme en témoigne l’ouverture d’Halloween Kills, qui repart, à nouveau, du point d’origine, à savoir les événement d’Haddonfield du 31 octobre 1978. Logique palimpsestique (que l’on retrouve aussi dans Candyman), qui implique une certaine gourmandise vintage – le film en profite pour ressusciter Donald Pleasence (incarné par un sosie) dans le rôle du docteur Loomis, et rappeler l’existence de personnages secondaires amenés à jouer un rôle important dans ce nouveau volet. La mode, désormais courante, de faire revenir des figures des films fondateurs d’une franchise est poussée ici à un point paroxystique, avec ce club des anciens combattants constitué des deux enfants baby-sittés dans le film de 1978, mais aussi de l’infirmière accompagnant Loomis dans la scène de l’évasion de Myers.
David Gordon Green racle ainsi ouvertement les fonds de tiroir de la saga avec une intrigue par ailleurs inspirée de celles d’Halloween 2 (modèle presque assumé : le film commence exactement là où s’arrêtait le précédent et se déroule lui aussi, en partie, dans un hôpital) et d’Halloween 4 (les milices des habitants remontés contre le revenant). En résulte une bouillabaisse narrative et formelle, où Gordon Green semble avant tout obnubilé par la gestion, parfois parodique, d’un héritage (cf. ce couple homosexuel dont les époux se surnomment « Little John » et « Big John », en hommage appuyé à Carpenter), loin de la simplicité constitutive de Myers qui, même dans des films moins notables de la franchise (exemplairement, Halloween 4 : Le Retour de Michael Myers), faisait naître, ici et là, des bouts de plans ou d’apparitions. Il faut voir (et entendre) la tuerie finale, sorte de petit clip où Myers, mythifié et déspatialisé par l’esthétisation de la séquence, trucide à tour de bras, tandis que Strode verbalise ce que les derniers plans du film de Carpenter racontait silencieusement (Myers, invisible, partout et nulle part à la fois, devenait omniscient par l’effroi qu’il suscitait), pour comprendre que Gordon Green essaie bien quelque part de refaire le film de Carpenter, mais sans inspiration, par un trop-plein de visible qui confine parfois au ridicule. En atteste ce détail significatif : dans le film de 1978, Loomis et le shérif d’Haddonfield découvrait le cadavre d’un chien dans la demeure des Myers, que Carpenter laissait hors champ. Ici, la dépouille apparaît au détour d’un plan, sans faire l’objet d’une attention particulière : elle est juste là, parce que le film peut se le permettre et qu’il s’agit au fond d’un petit trou de représentation dans lequel l’entreprise post-moderne peut s’engouffrer, par caprice ou plaisir. De ce qui importe – la présence fantomatique de Myers, son mode de prédation, la manière dont il ne cesse de briser la frontière entre le monde visible et le surnaturel –, le film ne fera en revanche rien, ou presque (seule micro-exception : cette scène où Myers apparaît furtivement dans une salle de bain avant de briser l’ampoule), et se contentera, à une échelle plus large, de combler le trou qui sépare le précédent film et le suivant, en annonçant, dans ses derniers plans, l’affrontement final entre Strode et sa Némésis. Il est vrai qu’il serait temps d’en finir.