S’il y a un point sur lequel ce retour du « Roi de la jungle » ne sera pas à attendre, ce sont ses prouesses « physiques ». Campé sans éclat par le blond Alexander Skarsgård (comédien surtout connu pour son père Stellan et pour la série True Blood), le Tarzan nouveau s’agite consciencieusement dans les tours de vieux singe connus : sauts de liane en liane, combat contre un énorme gorille, cri de ralliement des bêtes inspiré de la tyrolienne, etc., mais rien à faire, notre imagination n’arrive pas à y croire. On incriminera là une confiance trop paresseuse dans les effets numériques qui, à force de vouloir foncer vers le spectaculaire à tout prix sous le regard mou d’une mise en scène à la ramasse (on ne remercie pas David Yates, qui a déjà pareillement gâché à lui seul toute la seconde moitié de l’octalogie Harry Potter), en oublie d’incarner quoi que ce soit qui puisse vraiment frapper le regard et l’esprit. Les sauts de « l’homme-singe », trop accélérés, trop élastiques, font l’effet de décalques précipités d’animations de Spider-Man. La jungle de studio, avec son vert émeraude, ses brumes et ses reflets sur les feuilles fignolés aux petits oignons, est trop figée dans son soin pictural pour être honnête. Même les tablettes abdominales exhibées sur le torse nu de Skarsgård, pourtant obtenues par un régime spécial gonflette pour acteurs, ressemblent à des prothèses mal maquillées. Bref, rien qui donne envie de grimper aux arbres : tout ce qui est censé caractériser le légendaire Tarzan et son royaume reste à l’état de grand manège virtuel, truqué, affadi, sans mystère ni grâce.
Les témoins du roi
À vrai dire, on peut douter que les maîtres d’œuvre eux-mêmes aient ressenti le désir de faire exister le héros par ces coups d’éclat, vu comment ils les bâclent tels des passages obligés à égrainer au plus vite. La grande affaire de ce The Legend of Tarzan semble plutôt de rejouer cette légende comme une matière abstraite, théorique, qu’on ferait mine de redécouvrir avec un œil neuf et moderne. Les prémices sentent le déjà-vu, au rayon des héros du passé rappelés à leur destinée : revenu à la civilisation européenne et devenu Lord Greystoke, John Clayton doit néanmoins repartir sur les terres du Congo qui l’ont vu grandir parmi les singes, et là-bas embrasser de nouveau, bon gré mal gré, son identité de Tarzan seigneur de la jungle. Parmi les autres personnages, deux en particulier sont chargés par le film d’observer et de commenter, d’un air de surprise, la légende sur le chemin du retour. Un compagnon d’aventure, émissaire américain joué par Samuel L. Jackson, a lu bien des récits précédemment publiés sur le « Roi de la jungle » ; mais se confronter à la réalité concrète de ce pouvoir est une autre affaire, qui occasionne par le biais de ce sidekick moult intermèdes où le comique alterne — laborieusement — avec le sérieux. Et puis il y a l’antagoniste, un officier belge joué par Christoph Waltz (avec sa faconde habituelle, mais non sans finesse), qui traque Tarzan pour de noirs desseins mais en ne le connaissant, lui aussi, que par la légende déjà établie, au point d’avouer qu’il «[s’]imaginait différemment » le cri de sa proie qu’il finit par entendre. Un brin narcissique, il caresse même l’idée d’écrire sa propre légende, se rêvant dans le rôle du bâtard malfaisant qui s’inscrirait dans l’Histoire en jetant à bas le héros de sang noble. Et quelque part, on aurait envie d’y adhérer…
Conteurs en quête de conte
À travers ces deux personnages s’esquisse une idée intrigante quoique floue, mais purement théorique, et hélas laissée comme telle par la même tare qui préside à la fadeur déjà déplorée de la direction artistique : une absence d’investissement réel dans la représentation, dans les idées, dans les choix de mise en scène. D’une manière plus générale, on constate que le film sort l’artillerie scénaristique pour balbutier, à travers son héros, un certain nombre de thèmes : retour à la nature, conflit entre celle-ci (sous le règne animal) et la civilisation industrialisée et déshumanisée, considérations indignées sur l’esclavage au temps des colonies, même la place de la femme dans une société masculine (la Jane de Tarzan est de la partie, qui refuse notamment de jouer les demoiselles en détresse)… Mais il reste difficile de croire en sa bonne foi sur ces terrains quand, par des choix entièrement voués à un entertainment consensuel (comme celui, purement opportuniste, de faire du personnage de Jackson un ancien esclave et vétéran de la guerre de Sécession, familier de la gâchette et de la mitrailleuse), il noie le poisson sur chacune des grandes idées qu’il énonce, des nobles intentions qu’il exprime, des subtilités qu’il fait miroiter.
Au fond, si cette nouvelle mouture de Tarzan suscite un ennui profond, c’est bien parce qu’au bout de tant de tergiversations, de dégagements en touche, de choix sans goût ni idée, on finit par se demander quel était vraiment le désir à l’origine du film, ce que les producteurs, scénaristes et réalisateur voulaient au fond raconter. Mais, tout cela n’aurait-il été mis en branle que pour filmer Tarzan enlaçant tendrement sa Jane (Margot Robbie) sous une lumière crépusculaire ? La question est légitime, puisque ce sont à peu près les seules images où se dessine vaguement une lecture, certes sommaire, du mythe de l’homme de la jungle : de l’imagerie publicitaire plaçant invariablement le petit corps frêle de la femelle entre les bras du mâle au grand corps large d’épaules. Fantasme viriliste, ou fusion intime entre l’humain et l’animal à l’instar de King Kong ? L’ambiguïté, on s’en souvient, existait déjà du temps des premiers films avec Johnny Weissmuller. Mais ici, le triste manque de personnalité de l’ensemble, symptomatique des difficultés croissantes de l’industrie hollywoodienne actuelle à simplement raconter des histoires, empêche de se projeter dans cette tentante question.