Pour aller voir un Harry Potter le jour même de sa sortie en salles, il faut de l’abnégation et de la patience : surmonter les ricanements d’adolescents prépubères dans une salle transpirante et bourrée à craquer et s’imaginer (pourquoi pas) que David Yates, déjà responsable du numéro 5, pourrait se révéler grand cinéaste d’un coup de baguette magique relève du chemin de croix. 2h30 plus tard, le cerveau écrasé en bouillie par un salmigondis agressif d’images plus ridicules les unes que les autres, dans un film où même les acteurs n’ont plus la foi, on en ressort sur les genoux, prêts à jurer à qui voudra bien nous entendre, fût-il Voldemort en personne, qu’on ne nous y reprendra plus.
Loin de nous l’idée de crier au génie devant l’œuvre littéraire superstarisée de J.K. Rowling. Il n’en est pas pour autant honteux d’y trouver une vraie richesse stylistique comme narrative. Harry Potter et le Prince de sang-mêlé, avant-dernier tome de la série, avec sa galerie de personnages profondément ambigus et son suspense haletant, est sans aucun doute son chef d’œuvre, avant le chant du cygne des Reliques de la mort. Questions existentielles et inventions toujours renouvelées d’un univers original se télescopent pour faire du petit sorcier devenu grand un héros à l’ancienne, dont la quête n’a presque rien à envier à celle des chevaliers du Saint Graal.
À l’écran, c’est le désastre, le vide intersidéral du blockbuster multivitaminé au pop-corn et au Coca Cola. Si les précédents opus ne brillaient pas par la discrétion des effets spéciaux, celui-ci a choisi d’aller encore plus haut et encore plus fort : et paf que je te dézingue un pont londonien, et vlan que je te démultiplie à l’infini des petits ersatz de Gollum pour te flanquer la frousse, et bam que je t’invente dix milliards de petits objets, de sorts, de meubles enchantés, de potions qui envahissent l’écran et bousillent les yeux. Il n’y a tellement plus rien d’humain dans ce film que les acteurs, transformés en zombies, parviennent à peine à se regarder en face, comme si leurs partenaires étaient eux aussi devenus des écrans bleus. La mise en scène est à l’avenant : plongés, contreplongées, flous artistiques s’enchaînent à la va comme je te pousse pour tenter vainement de donner du rythme à cette grosse machine boursouflée au bord de l’implosion, où la moitié de l’équipe a une heure d’avance, et l’autre un train de retard.
David Yates et ses gros sabots de débutant incapable (oui, il eût été possible de faire d’Harry Potter un film réussi) dynamite toute mince ambition artistique : inutile de se leurrer, Harry n’est plus qu’une machine à fric. Daniel Radcliffe, interprète pourtant idéal, semble mû par le fameux « Imperius Curse » (l’un des trois « Unforgivable Curses » qui permet à celui qui le jette de contrôler faits et gestes de son adversaire): il avance dans le film en trébuchant à chaque pas, ânonnant ses répliques comme s’il récitait une poésie dans un cours de latin en les accompagnant du sourire bêta du gamin qui n’a pas compris pourquoi on lui avait demandé d’être là. Ses partenaires, dont la présence est limitée à la seconde près, sont de bien maigres adjuvants : entre gloussements horripilants des filles et rires satisfaits de garçons privés de testostérone, Harry… devient un teen-movie bas de gamme, là où on attendait (au pire) un film d’action aux relents guerriers.
Quelques petits moments d’humour noir surnagent ici ou là ; David Yates les doit tout entiers à la maestria d’Alan Rickman, seul acteur encore pourvu d’un peu de chair, qui parvient par un effort surhumain à rendre justice au plus beau personnage inventé par J.K. Rowling, le trouble et bizarrement séduisant Severus Snape. Le reste n’est digne que d’un cachet d’aspirine. RIP Harry Potter.