Dans la lignée de la saga Harry Potter, dont les derniers épisodes adoptaient une tonalité résolument sombre, ce troisième volet de la saga des Animaux fantastiques s’engage sur un terrain plus grave que celui des deux films précédents. Pour contrer la menace de Grindelwald, le magicien noir qui s’apprête à conquérir le monde des sorciers, Albus Dumbledore réunit une équipe hétéroclite de sorciers. Malgré quelques défauts – le montage alterné et les multiples rebondissements finissent par susciter un sentiment de confusion –, le film se révèle passionnant dans sa manière de dépeindre le « wizarding world » en miroir du monde réel. Comme l’écrivait Anthony Moreira à la sortie des Crimes de Grindelwald, le principe même de l’univers de J. K. Rowling – l’existence d’un univers caché, celui de la sorcellerie, qui n’est pas toutefois pas étanche à celui des « Moldus » – implique la présence de points de passage d’un monde à l’autre qu’empruntent les personnages : une porte battante à New-York, une statue à Paris, un mur de brique à Berlin. David Yates fait toutefois plus précisément de cet enjeu le cœur des Secrets de Dumbledore : l’intrigue politique au cœur du récit, à savoir l’élection du chef suprême de la Confédération internationale des sorciers, se déploie parallèlement aux événements dont sont contemporains les Moldus, à qui Grindelwald, candidat au scrutin, veut faire la guerre. Si le repli identitaire inspiré par un chef tyrannique est un thème cher à J.K. Rowling (cf., déjà, le personnage de Voldemort), c’est la première fois qu’elle confronte aussi distinctement sa fiction à la grande Histoire. Heureusement traité sans trop d’insistance, ce parallèle permet de complexifier la question des relations entre magiciens et non-magiciens, esquissée dans les films précédents à travers le personnage de Jacob Kowalski, un Moldu figuré, sur un mode comique, comme un intrus. Un fait qui devient ici pour Grindelwald un motif d’assassinat et d’épuration ethnique.
Interfaces
Au-delà de ce sous-texte, le film tire de cette confrontation entre deux strates une certaine inspiration plastique dans la figuration d’une doublure permanente des choses et des êtres. Outre l’importance accordée aux passerelles grâce auxquelles la frontière entre les deux mondes devient perméable, le miroir, motif structurant du film, figure aussi l’incomplétude de l’un de personnages, Abelforth Dumbledore. Son apparition est à ce titre significative : si la caméra le cadre d’abord de face et de près, elle recule ensuite pour dévoiler l’envers du plan – il s’agissait en réalité de son reflet, le personnage faisait dos à la caméra. C’est à travers ce miroir, qu’il essuie compulsivement alors même qu’il paraît immaculé, que s’affirme une sorte d’interface de communication : des lettres, comme tracées dans la buée, surgissent petit à petit, composant un message que le personnage cherche désespérément à dissimuler, pour refouler un passé remontant à la surface.
Les possibilités offertes par ces jeux de reflets s’incarnent par ailleurs à travers le personnage de Grindelwald, qui a la faculté de voir des bribes du futur. S’il exerce d’abord son don de divination dans le sang d’un animal qu’il vient d’égorger, c’est ensuite par la vitre de son manoir puis dans celle d’une voiture qu’il distingue le visage de ceux amenés à croiser sa route. Le reflet se voit de la sorte envisagé comme une interface intertemporelle permettant de dresser des ponts entre présent et futur – comme la « pensine », qui permettait déjà, dans les films précédents, de plonger dans le flux des souvenirs. À ces trouvailles s’ajoutent les retransmissions du meeting final, dont les visages des participants se dessinent sur d’immenses draps tendus aux quatre coins du monde : la visualisation semble donc pouvoir se faire, dans le monde magique, en dépit de toute règle spatio-temporelle, à la faveur d’interfaces singulières (une vitre, une flaque de sang, un drap) qui redéfinissent les frontières et la manière dont les personnages interagissent. Décidément, la franchise des Animaux fantastiques, en dépit de ses limites, trace un sillon pour le moins singulier dans le paysage actuel des films à grand spectacle .