Le premier volet des Animaux fantastiques introduisait un nouvel objet dans l’univers d’Harry Potter, la valise de Norbert Dragonneau (Eddie Redmayne) qui s’ouvre sur une cabane où s’étendent différents écosystèmes abritant des créatures du monde magique. Cette logique, déjà présente dans la franchise (la tente de Harry Potter et la Coupe de feu), se voit radicalisée dans Les Crimes de Grindelwald, où le monde est présenté comme une suite de couches spatiales et temporelles.
Espaces stratifiés
Le monde des sorciers, qui apparaît telle une dimension superposée au monde prosaïque, se dévoile à la faveur de portails analogues. Lorsque Tina (Katherine Waterston) se rend à Paris pour enquêter, elle emprunte ainsi un passage secret sous une statue qui substitue à une paisible rue parisienne l’effervescence de sa doublure magique où se côtoient diverses attractions (un cirque, un spectacle pyrotechnique ou encore un Zouwu, une créature magique chinoise). Cet espace magique se donne dès lors à voir toujours en deçà du plan initial et s’imprime, telle une greffe numérique, sur le monde des Moldus. Ce qui fait la singularité des Crimes de Grindelwald, plus encore que le film précédent, tient dans les modalités plastiques de cette greffe qui font de chaque surgissement un événement au sein même de l’image. La disparition des corps (outre le « transplanage ») participe également de ce sentiment de malléabilité. Grimmson (Ingvar E. Sigurðsson), l’agent double de Grindelwald, en est l’illustration : alors qu’il se rend dans le petit appartement de la nourrice de Credence (personnage autour duquel se noue le cœur narratif du film) afin de l’assassiner, le sorcier pénètre le mur, qui s’effrite à mesure qu’il s’y insinue. Un travelling suit son mouvement progressif dans la pièce, dissimulé dans le mur, avant qu’il ne surgisse du papier peint. Nagini, qui accompagne Credence dans la quête de ses origines, suit alors du regard le mouvement apparemment invisible de Grimmson avant que celui-ci n’agrippe sa main. Cette séquence renseigne sur la façon dont le numérique travaille l’espace en le dotant d’une nouvelle profondeur, invisible au premier coup d’œil. C’est par ce motif assez vertigineux de la doublure, du pli, que l’espace se reconfigure perpétuellement. Le passage d’une strate à une autre est de surcroît mis en évidence par un mouvement d’apparition ou, au contraire, de disparition. Dans cette perspective, plusieurs surimpressions jalonnent également le film dont l’une, entre Grindelwald et une projection de Credence, qui donne à voir littéralement la superposition entre différentes couches d’images : une « présence » (le corps du mage noir) et une « greffe » (le visage du jeune homme), toujours dans ces mêmes modalités d’empilement.

Débords temporels
La stratification spatiale permise par le numérique se double également d’une porosité temporelle. Si l’intrigue du film peut paraître confuse jusque dans sa dernière demi-heure, c’est qu’elle fait du débordement d’une temporalité sur une autre l’enjeu formel de plusieurs séquences. Celle qui engage Norbert sur les traces de la femme qu’il aime, l’une des plus belles scènes du film, repose, là encore, sur un principe de surgissement. Mais il ne s’agit pas tant de révéler la doublure du monde que de matérialiser les traces des évènements qui ont eu lieu la veille, lors des investigations nocturnes de Tina. Le sort de Norbert fait ainsi apparaître le spectre d’un Kappa, créature observée quelques scènes plus tôt dans les rues parisiennes et, plus loin, les traces dorées laissées par Tina qu’il suit amoureusement. Le passé et le présent cohabitent ici dans le même plan tout en affirmant leur incompatibilité : ces apparitions spectrales disparaissent quelques secondes après leur émanation de la baguette du jeune sorcier. Les flashbacks qui ponctuent par ailleurs le film héritent du mode de manifestation des souvenirs de la Pensine dans les Harry Potter : ils semblent surgir d’un écran de fumée qui façonne le souvenir, dont la forme fait preuve d’une extrême plasticité (morphing, transitions par des écrans de fumée, caméra qui passe à travers une vitre etc.). C’est à cette occasion que plusieurs éclats visuels se manifestent, comme l’apparition d’un linceul flottant qui renvoie au souvenir traumatique de Leta Lestrange (Zoë Kravitz) qui a perdu son petit frère, encore bébé, lors d’un voyage en mer. Enfin, la troisième modalité du débord temporel survient lors du congrès de Grindelwald (Johnny Depp) : pour terrifier ses convives, il les propulse dans un flashforward sidérant, donnant à voir des scènes de destruction de la Seconde Guerre mondiale (tank, avions, champignon atomique d’Hiroshima, etc.), alors même que l’action du film se déroule en 1927. Cette fois, la cohabitation entre les deux espaces fait office de mise en garde, comme si les personnages étaient plongés dans un monde virtuel qui n’attendait que son auto-réalisation (contrairement aux traces qui reviennent toujours au néant).

David Yates travaille ainsi les possibilités qu’offre le monde des sorciers en termes d’expérimentations numériques. Comme Steven Spielberg avec Ready Player One, il explore ainsi la dimension plastique, composite et spectrale de l’image numérique. C’est par cette proposition, certes imparfaite mais stimulante, que Les Crimes de Grindelwald, prolongeant ce qu’avaient amorcé Harry Potter et Les Animaux fantastiques, s’impose comme l’un des blockbusters les plus passionnants de cette année.