Ce n’est pas une surprise: Harry, le cinquième, se devait d’exister, à l’inverse d’autres « suites », comme Ocean’s 13, basées sur le succès commercial de l’opus précédent. Non que les bénéfices engendrés par l’engouement autour de l’ouvrage de J.K. Rowling ne soient pas un facteur déterminant de l’existence de ces sorties à répétition. Mais le concept original – changer de réalisateur (presque) à chaque film – et la bonne facture des opus 3 et 4 d’Alfonso Cuarón et de Mike Newell laissaient augurer plus qu’une ordinaire superproduction américaine déclinée à l’envi. Malheureusement pour Harry 5, le débutant David Yates revient à l’académisme des 1 et 2 réalisés par Chris Columbus. Au risque d’égarer le néophyte dans un gouffre d’ennui.
Harry Potter a quinze ans. Là où n’importe quel adolescent normal et boutonneux en profiterait pour faire sa crise de rébellion contre une société trop injuste, le jeune sorcier a d’autres chats à fouetter. L’année précédente, il a été le malheureux témoin du retour de Vous-Savez-Qui, le dangereux Lord Voldemort. Personne ne le croit, sauf Dumbledore, le directeur d’Hogwarts, et une poignée de sympathisants, réunis dans l’Ordre secret du Phénix. Alors qu’Harry et ses amis tentent de se préparer à l’attaque imminente de Lord Voldemort et de ses fidèles Death Eaters, le Ministère de la Magie, inquiet des « rumeurs » qu’ils propagent dans le collège, décide d’y envoyer l’un de ses plus éminents représentants, Dolores Umbridge, adepte de l’autoritarisme en tailleur rose et de la sécurité jusqu’à l’écœurement.
Il y a deux façons de regarder Harry Potter. Pour le fan inconditionnel, celui qui savoure les ouvrages depuis le début et attend avec frénésie la sortie du tome 7, dernier de la série (dont la parution est prévue le 21 juillet), la comparaison est inévitable, parce qu’Harry Potter n’a jamais été conçu comme un espace de liberté pour l’adaptation cinématographique. Chris Colombus, Alfonso Cuarón, Mike Newell et David Yates n’avaient qu’un objectif: traduire la prose de J.K. Rowling à l’écran du mieux qu’ils pouvaient, sans en trahir l’esprit, sans trop insuffler leur style à une série qui devait conserver une certaine unité. Seul Alfonso Cuarón fit mine d’ignorer ce cahier des charges avec Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban; ce qui lui valut, évidemment, d’être le moins apprécié des fans. En ce qui concerne Harry Potter et l’Ordre du Phénix, le pari était impossible à tenir: comment adapter un ouvrage de 800 pages en 2h10 sans en perdre les nerfs principaux? La saveur (réelle) du livre est presque totalement perdue dans le film: pour garder une certaine compréhensibilité du déroulement de l’histoire, le scénariste a tranché net. Son travail est le plus souvent remarquable, mais irrémédiablement décevant. Là où Rowling creusait des psychologies, faisait un état des lieux des rêves et des déceptions de l’adolescence, remuait les notions trop tranchées de Bien et de Mal, introduisait un suspense haletant, le film raconte, en gros, les aventures d’un jeune homme qui pointe sa baguette magique au nez (inexistant) d’un vilain méchant. Envolé les subtilités.
Pour le second spectateur, plus néophyte, il ne s’agit donc qu’un blockbuster de l’été aux effets spéciaux certes admirables (merci l’informatique) mais dénués de vie; aux personnages remarquablement interprétés mais si nombreux qu’on finit par ne plus savoir qui est qui − heureusement, les mimiques des acteurs permettent au moins de les placer parmi les bons ou les méchants (une simplification très hasardeuse et ennuyeuse pour le spectateur lambda). Le montage massacre la scène la plus réussie et la plus parlante de l’ouvrage, la rendant totalement incompréhensible: celle du flash-back où l’on voit le père de Harry alors adolescent torturant celui qui va ensuite devenir l’un des pires ennemis de son fils, Severus Snape. Chez J.K. Rowling, cette scène permettait non seulement de traduire l’ambiguïté de la nature humaine, mais aussi d’interpeller le lecteur sur la personnalité du héros, Harry, qui n’est au fond que le « bon » double de Voldemort.
Harry Potter et l’Ordre du Phénix, jouant constamment sur deux tableaux et avec ses deux publics, ne parvient jamais à en atteindre un seul: l’esprit de l’ouvrage n’est pas respecté et le suspense attendu dans ce genre de production n’est jamais au rendez-vous (la grande séquence finale est une piètre copie du Retour du Jedi). Le pire, au fond, est d’avoir voulu rendre concret ce qui ne l’était pas: le contraire eut pourtant été une gageure passionnante à relever au cinéma. Comme dans Le Seigneur des anneaux où Peter Jackson faisait l’erreur fatale de donner un visage à Sauron, la matérialisation trop poussée du « voile » derrière lequel tombe Sirius Black pour n’en jamais revenir ou le maquillage ridicule de Ralph Fiennes en Lord Voldemort rend trop réaliste ce qu’on ne s’attend pas à l’être. Pour le coup, les effets spéciaux auraient été une ressource intéressante à utiliser.
Il y a bien quelques bonnes séquences dans Harry Potter et l’Ordre du Phénix, notamment autour du personnage de Dolores Umbridge, qui est de tous le plus travaillé. J.K. Rowling le présentait comme une satire des traditions scolaires privilégiant la théorie à la pratique, l’autorité du professeur à l’écoute de l’élève. Vieille fille bourrée de tocs et engoncée dans ses costumes sans âge, Dolores Umbridge est une telle caricature de la bêtise humaine que son humiliation publique par les jumeaux Weasley se traduit dans une belle scène jouissive et libératoire, aussi bien pour les personnages que pour le spectateur. Scène qui ne compense malheureusement pas l’une des plus ridicules répliques hollywoodiennes: « Moi, j’ai quelque chose que tu n’as pas », dit Harry à Voldemort qui a pris possession de son corps. Et que n’a-t-il donc pas ce vilain? On vous le donne en mille: « L’amour et l’amitié. » C’est Céline Dion qui va être contente!
Qu’on pouffe ou qu’on se désole, l’opus 6 est en préparation. Et vu la teneur extrêmement sombre de l’ouvrage, aucune incartade larmoyante ne sera acceptée.