Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis… David Yates nous étant apparu lui-même comme un parfait imbécile de par ses désastreuses adaptations des deux épisodes précédents (Harry Potter et l’Ordre du Phénix, Harry Potter et le Prince de sang-mêlé), nous ne pouvions que craindre sa prise en main du dernier opus. Reconnaissons donc tout de go qu’il a su prendre leçon des erreurs passées… sachant qu’il ne lui était pourtant pas demandé d’effort particulier, tant Harry Potter, le film, n’a aucune besoin de rimer avec qualité cinématographique pour rencontrer son gigantesque succès escompté. Le réalisateur est-il d’ailleurs véritablement responsable de ce renouveau qualitatif alors que la saga est sur le point de se conclure? Qu’importe: le plaisir est là, enfin, dans un grand moment de blockbuster à l’américaine.
Rappel pour ceux qui auraient vécu au milieu d’une tribu aborigène de l’Amazonie ces cinq dernières années: le principal du collège de Hogwarts, Dumbledore, vient d’être assassiné par le professeur Severus Snape, qui a rejoint comme beaucoup d’autres les troupes de Voldemort, le seigneur du Mal redevenu puissant comme jamais. Voldemort est à la poursuite de Harry Potter, seul obstacle à sa puissance incontestée. Harry, lui, sait qu’il doit détruire les sept «Horcruxes» contenant des morceaux de l’âme de Voldemort avant de pouvoir anéantir son ennemi. Avec ses fidèles amis Ron et Hermione, il décide de ne pas retourner à Hogwarts et de partir à la recherche des Horcruxes manquants…
On ne reviendra pas sur le fait que les romans de J.K. Rowling font sans conteste partie de ce qui s’est fait de mieux dans la littérature jeunesse de ces dernières années. Succès commercial ne rime pas forcément avec absence de style littéraire, bien que les déprimants Twilight et leurs dérivés s’acharnent à nous prouver le contraire. Le dernier tome d’une saga époustouflante en termes de suspense et de création d’univers littéraire, au-delà d’un besoin de résolution des différentes intrigues posées précédemment, surprend par la richesse de ses références et la qualité de sa progression narrative. La lutte entre le Bien et le Mal est aussi peu manichéenne que possible dans un ouvrage destiné originellement aux adolescents, dans la plus pure tradition des contes de fées – récits initiatiques où le(s) héros est/sont sans cesse confronté(s) à son/leur côté obscur.
Productrice du film, J.K. Rowling a sans doute porté une attention particulière à ce que l’esprit de son ouvrage comme l’enchevêtrement des intrigues principales soient conservés. Pari réussi: scénaristiquement, Harry Potter et les reliques de la mort est un modèle d’adaptation cinématographique. Ce dernier volet est le plus sombre de tous, mais il ne se départit jamais de l’humour très anglais qui caractérise la série, même dans des situations dramatiques – voir ainsi le moment où les amis de Harry avalent une potion leur permettant de prendre son identité (et les transformations drôlissimes concomitantes), afin de détourner l’attention des Death Eaters (Mangeurs de mort) de leur victime principale. Le film reproduit finement les références de J.K. Rowling aux totalitarismes du XXe siècle, et notamment au nazisme, par le biais de l’annihilation voulue par Voldemort des «Muggles» (les non-sorciers) et de la terrible dictature qui s’étend sur le ministère de la Magie lorsque le seigneur du Mal en prend le contrôle.
Fidèle encore une fois aux principes de l’ouvrage, Harry Potter et les reliques de la mort n’est pas un concentré d’action pure, et joue sur la cassure permanente du rythme, grâce à de longs temps morts (au cours desquels la quête de Harry semble sur le point d’échouer) qui permettent de provoquer des effets de surprise exponentiels lorsque l’action reprend tambour battant. Le pouvoir de l’image prend ainsi une puissance hallucinatoire, le regard du spectateur passant d’images foudroyantes (le gigantesque serpent ouvrant sa gueule face caméra en gros plan) à la longue contemplation de paysages splendides à la limite de l’irréel. Pour une fois, les effets numériques se mettent au service du film plutôt que de le dépasser par une simple volonté de faire de la technologie un joujou. Et le meilleur moment devient alors la longue et originale séquence d’animation, racontant sur un mode très Mille et une nuits, l’histoire de trois sorciers légendaires et de leur rencontre avec la Mort.
Qu’elle soit due originellement à un vil motif commercial ou qu’elle provoque une évidente frustration du fan hystérique, la décision des producteurs de diviser en deux parties l’adaptation de ce septième et dernier tome était de loin la meilleure solution qui soit. David Yates prend enfin le temps de travailler au plus près la mythologie (le terme n’est pas trop fort) « pottérienne » et le casting tout entier semble revenu d’une longue léthargie: Ralph Fiennes en Voldemort devient l’un des meilleurs méchants du cinéma hollywoodien; quant à Helena Bonham Carter, elle prend un malin plaisir à jouer l’atroce sorcière tortionnaire dans des scènes d’une cruauté surprenante pour ce genre de films (mais montrant justement qu’Harry Potter ne prend pas les enfants pour des imbéciles). Daniel Radcliffe, Emma Watson et Rupert Grint ont vite et bien grandi, et leur complicité éclate à l’écran, rendant crédible celle de leurs personnages principaux.
D’accord, ce n’est pas du Orson Welles. Mais qu’Harry Potter, le film, prenne enfin sa juste dimension de spectacle populaire, est de bon augure pour l’avenir. Juillet 2011 et la sortie de la deuxième partie des Reliques de la mort devraient confirmer la tendance, pour conclure avec honneur l’œuvre haletante de J.K. Rowling.