Après le film Uncharted, l’autre licence à succès des studios Naughty Dog fait l’objet d’une adaptation avec, cette fois, une série co-pilotée par Neil Druckmann, le développeur phare de la firme, et Craig Mazin, à qui l’on doit Chernobyl. Cette saison inaugurale de The Last of Us reconduit fidèlement la trame du premier jeu et suit, à travers des États-Unis en ruines, un ancien marine (Joel) et une adolescente immunisée (Ellie), dans une ère post-apocalyptique où errent groupuscules militaires et zombies infectés par un champignon parasite, le cordyceps. Si ce choix s’explique en partie par l’écriture éminemment sérielle des deux jeux The Last of Us, dans lesquels l’avancée des personnages s’opérait déjà au gré d’un chapitrage émaillé d’ellipses et de cliffhangers, une telle fidélité s’avère vite à double tranchant. Sous la surface d’un récit reprenant scolairement les codes du film de zombie, le jeu nous mettait surtout dans la peau d’une figure à la moralité vacillante (Joel), ce qui avait pour effet de nous renvoyer, manette en main, à la cruauté du processus ludique : pour survivre, il s’agissait de purger le monde et de faire place nette autour de soi. L’échec de la série, qui se racornit d’épisode en épisode, tient justement à son approche narrato-centrée de l’adaptation : Druckmann et Mazin se focalisent sur la surface d’un scénario rebattu en éludant l’essentiel des phases de gameplay, alors même que ces dernières donnaient une tonalité mais également un sens bien différents aux échanges dialogués et aux séquences plus apaisées. Ainsi de la fameuse scène de la girafe, qui occupait dans le jeu le rôle d’une parenthèse enchantée, fondée sur l’émerveillement produit par une apparition inespérée, après des heures de combat, dans la peur et le stress, contre des hordes de zombies et de mercenaires : dans la série, la séquence intervient au début d’un épisode d’accalmie, après un énième flashback, perdant mécaniquement de sa valeur. Il en va de même pour la dernière scène de massacre dans le laboratoire. Ce passage clef est ici expédié à grands renforts de micro-ellipses et de plans flous, quand le jeu nous demandait d’appuyer froidement sur la gâchette pour exécuter un à un, dans la clarté d’une ultime phase de gameplay sans détour possible, des dizaines d’innocents.
Afin de compenser les limites du récit d’origine, Druckmann et Mazin se sont occupés à greffer à la trame initiale quelques écarts notables, tricotés à partir d’une anecdote ou d’une extension issue de la franchise (Left Behind). C’est le cas de l’épisode 3 et 7, imposants flashbacks qui se concentrent respectivement sur la relation amoureuse entre Bill et Frank, deux anciennes connaissances de Joel, et sur une idylle tragique entre Ellie et Riley, adolescente qui finira contaminée sous les yeux de l’immunisée. Pour qui aurait parcouru un titre signé Naughty Dog, de tels pas de côté n’ont rien de surprenant, le sériephile Druckmann ayant pour habitude de proposer des retours en arrière aux moments les plus décisifs. Chez lui, la moindre rencontre avec un personnage secondaire renferme presque toujours une histoire parallèle à développer, ce qui permet d’étirer dans le temps l’intrigue principale et de donner l’impression que le monde tournant autour des protagonistes principaux serait plus dense qu’il n’y paraît. La stratégie est certes efficace, en particulier pour l’épisode 3, qui fonctionne indépendamment du reste et raconte en une heure ce que la série esquisse en neuf épisodes (l’aménagement d’une utopie en dépit du chaos). Mais employée une deuxième fois, elle accouche d’un épisode embarrassant – le septième – qui dans son accablante platitude met en lumière ce qui fait le plus défaut à la série : une forme singulière qui trancherait avec le tout-venant de la production télévisuelle.
Plus que les zombies (aux abonnés absents), ce sont surtout les gros plans en longue focale qui règnent en maître dans la série, la mise en scène se reposant systématiquement sur la seule capacité des acteurs à véhiculer un soupçon d’émotion (ce que Bella Ramsey et Pedro Pascal parviennent, il faut le reconnaître, à accomplir par endroits). The Last of Us : Part I nous apprenait déjà qu’un titre sous grande influence sérielle ne suffisait pas à faire un bon jeu ; force est de constater qu’une telle inspiration ne donne pas nécessairement non plus une bonne série.