Adapter Stephen King au cinéma, c’est un exercice de style. Admirateurs du prolifique auteur comme cinéphiles s’accordent sur une constante : en général, les adaptations de ses livres sont ratées. À tel point que lorsque l’une d’entre elles est plutôt réussie (Shining, Misery, Simetierre…), elle se voit rapidement entourée d’une auréole, d’une réputation parfois usurpée – excepté comparativement. Au moins, The Mist nous épargne cette tentation : le nouveau film de Frank Darabont manque cruellement d’intérêt, que ce soit en lui-même aussi bien qu’en tant qu’adaptation.
Stephen King n’est pas seulement l’auteur de romans-fleuves de 48 000 pages qui sont autant de tranches de vie du Maine depuis l’arrivée des premiers Étasuniens : il est également arrivé à l’auteur de se limiter au format court, écrivant quelques nouvelles plus courtes, ramassées, et généralement plus sombres, cruelles et efficaces que leurs contreparties développées. Brume est de celles-là. Un père et son fils sont enfermés par une nuit de brouillard dans un supermarché où ils ont trouvé refuge après s’être rendus compte que la brume au dehors abritait des monstres innommables dont le seul but semble être de manger de la chair humaine à tous les repas. Exacerbées par la peur, les passions de l’échantillon évidemment exhaustif (chez Stephen King, le moindre supermarché d’une petite ville contient le monde entier) de population humaine mettent la cohérence du groupe et sa survie en grave danger…
Brume avait la qualité de provoquer l’imagination – puisque c’est après tout ce qui importe : le brouillard, comme le procédé littéraire, masque la réalité des choses pour laisser place à l’imagination, bien plus prompte à susciter la terreur que la vision tangible et donc univoque d’une créature. Frank Darabont ne se sert aucunement du potentiel horrifique de son environnement, pourtant déjà fort bien démontré par le superbe Fog de John Carpenter. Également scénariste, Darabont, déjà réalisateur et scénariste des Évadés et de La Ligne verte (deux histoires de huis clos adaptées de… Stephen King), préfère se focaliser sur ses personnages – ce qui, habituellement, permet de mettre en valeur le véritable talent de portraitiste humain de King. Mais ici, las!, non seulement les acteurs ne sont pas à la hauteur (notamment un Thomas Jane aux faux airs de Christophe Lambert, mais surtout Marcia Gay Harden, qui cabotine monstrueusement dans le rôle de la folle de Dieu); mais en plus, Darabont choisit de rallonger la sauce de son récit. Avec une nouvelle courte, dont l’efficacité dépendait notamment de son caractère ramassé, le réalisateur tourne un film de près de deux heures, en essayant de rendre plus pesants, plus oppressants les rapports entre les assiégés. Peine perdue, et on se prend, au premier tiers du film, à prier on ne sait quel dieu lovecraftien présent dans la brume qu’il en finisse avec cette troupe de personnages idiots.
Ajoutez à cela que Darabont, qui a repris à son compte l’équipe de réalisation de la série 24h, ne sait guère user de sa caméra pour autre chose que pour cadrer bêtement ses acteurs dès qu’ils prennent la parole – ce qui ne laisse pas de susciter la nausée lors des séquences où les dialogues sont vifs, et vous obtiendrez un verdict sans appel sur The Mist : plat, creux, et morne. La frustration guette le narquois critique derrière ces lignes, mais heureusement Darabont choisit finalement de sauter le pas et de livrer un film non seulement mauvais, mais en plus nauséabond. Jamais, en effet, le réalisateur-scénariste ne s’est réellement désolidarisé du propos souvent bondieusard de King, dans les trois films qu’il a adaptés de ses œuvres. Les lecteurs émus se souviennent encore de l’intervention divine qui rasa les États-Unis à la fin du Fléau chez King, mais le propos de Darabont semble plus ambigu. En effet, jamais il ne condamnera les propos ineptes de sa folle de Dieu dans The Mist, qui deviendra avec le temps aussi dangereuse que les créatures. Mieux, au meilleur moment du film – la sortie de quelques protagonistes dans la brume – une musique hypnotique (et remarquablement choisie) de Dead Can Dance accompagne la vision des créatures. Son titre ? Host of the Seraphim : l’hôte des séraphins, anges majeurs du catholicisme. Les créatures de la brume seraient elles donc les hérauts du jugement dernier, tandis que l’humanité miniature, l’image-miroir de pécheurs est destinée à être purgée par les anges vengeurs ?
Fort heureusement, que ce soit la volonté du réalisateur scénariste ou non, ce discours, qui fleure bon le fondamentalisme à l’américaine, est noyé dans la platitude ennuyeuse d’un film où s’accumulent les erreurs de scénario et de mise en scène. Eût-il été réussi, le film aurait pu être scandaleux. En l’occurrence, il a surtout le mérite de proposer de réentendre Dead Can Dance dans de bonnes conditions, ce qui légitimerait presque d’aller voir le film – mais soyez en retard de 1h40 sur l’heure de la séance, dans ce cas…