Pas besoin d’avoir lu The Outsider pour savoir que la série HBO qui nous intéresse ici est adaptée de Stephen King : difficile de faire fiction plus kingienne, quand bien même elle a été curieusement – et abusivement – comparée à True Detective. C’est d’une part postuler à tort que la création de Nic Pizzolatto jouit d’une originalité suffisante pour constituer une source d’inspiration, et de l’autre fermer les yeux sur de (très) nombreux indicateurs caractéristiques de l’imaginaire de l’auteur de Sac d’os : les forêts, décors privilégiés des œuvres de King (l’action a beau se dérouler en Oklahoma, le Maine n’est jamais très loin) ; la structure chorale et le rôle important qu’y jouent d’étranges cauchemars ; une figure maléfique, inspirée d’un mythe populaire, face à laquelle s’érige une communauté rapidement improvisée, etc. C’est la principale force et faiblesse de la série que de rester fidèle à l’esprit des romans kingiens les plus amples (Le Fléau ou Dôme, également adaptés pour le petit écran), sur le papier parfaitement ajustés au format sériel mais qui se révèlent souvent minés par les mêmes défauts récurrents. The Outsider est en cela trop kingien, dans le mauvais sens du terme : après un départ en fanfare, le récit ralentit en vue d’un finale promis comme pétaradant mais qui ressemble, à l’arrivée, à un pétard mouillé – une conclusion aux allures de décalque du dénouement de Désolation, l’un des meilleurs romans de King, peut-être aussi celui qui se rapproche le plus de l’essence de l’œuvre en l’occurrence adaptée.
Mais enfin, The Outsider reste une série, et dire que le gros des épisodes ressemble au ventre mou d’un livre moyen de King (il y en a) ne suffit pas à expliquer son échec. Une phrase éclaire particulièrement ce qui lui manque pour tirer pleinement parti de son récit : dans les dernières minutes, Ralph (Ben Mendelsohn) révèle que sa rencontre avec l’entité démoniaque « craked the world open ». C’était déjà la conclusion, terrible, de Cujo : la matière d’un fait-divers et la rencontre avec le Mal se faisaient le terreau d’un bouleversement métaphysique que The Outsider organise dans un premier temps timidement. On pense bien entendu à cet individu défiguré, le visage caché par un sweat vert, traînant silencieusement sa carcasse en arrière-plan dans les premiers épisodes, mais aussi à la manière dont Mendelsohn fait de son léger zozotement la trace d’une fêlure, d’une hésitation montante à mesure que les preuves techniquement irréfutables à sa disposition se heurtent à des données contradictoires toutes aussi indiscutables. Or la série bute sur un paradoxe : plutôt que de filmer la craquelure, elle floute trop souvent l’écran et gomme la profondeur de champ ; au lieu de figurer le vertige qui saisit face à l’insondable, elle s’en remet à une panoplie d’effets de signature – vues surplombantes et sentencieuses, ralentis affectés et vides de sens, gros plans anxiogènes. Plus qu’un récit bien charpenté (puisque c’est sur ce point, toujours, que les séries sont saluées), il manque à The Outsider une mise en scène horrifique digne de ce nom, moins attelée à entretenir le trouble et le mystère qu’à fissurer la fine frontière séparant le monde tangible de l’indicible et de l’infigurable.