Il fut un temps pas si lointain où les romans de Stephen King inspirèrent les plus grands cinéastes, de Brian De Palma (Carrie) à Stanley Kubrick (Shining) en passant par John Carpenter (Christine) et David Cronenberg (Dead Zone). Même un cinéaste relativement mineur comme Rob Reiner a signé deux de ses meilleurs films en adaptant l’auteur : Stand by Me et Misery. La suite est moins glorieuse : la production pléthorique de l’écrivain a conduit les studios à adapter à peu près tout et n’importe quoi, n’importe comment, du mélo vaguement horrifique (Dolores Claiborne) ou fantastique (La Ligne verte) au gore bête et méchant (Dreamcatcher). La culture sérielle a pris le relais, mais là où le charme rétro de la mini-série Ça des années 1980 opère encore (en attendant son inévitable remake ciné prévu pour l’automne), les versions télé de Dôme et The Mist (en cours de diffusion, après une version ciné déjà oubliée) ont enfoncé le clou : Stephen King est curieusement devenu inadaptable.
Séries séries
Il reste pourtant un nombre considérable de romans dont Hollywood pourrait potentiellement se saisir, d’autant que l’auteur continue de livrer ses manuscrits à la vitesse de la lumière. Parmi ceux-ci, La Tour sombre (8 volumes publiés entre 1982 et 2012) fait figure, pour les fans de King, d’un culte tout particulier. Dotée d’une mythologie dense et complexe, l’œuvre n’a rien à envier à la richesse mythologique d’un Harry Potter ou celle d’un Game of Thrones. Le pari de l’adaptation cinématographique était tentant, mais à l’heure où les séries à très grand spectacle n’ont plus à rougir face aux grosses productions d’Hollywood, le choix d’une version développée pour la télé, avec ses arcs narratifs étendus sur plusieurs saisons, n’eût-elle pas été plus judicieuse ? La réponse est dans la question : l’enjeu de cette adaptation est colossal pour le studio (Sony), qui prévoit une série télévisée pour 2018, toujours avec Idris Elba et le jeune Tom Taylor.
La Tour sombre (le film, donc) est un curieux objet hybride que son contexte de production permet de comprendre dans ses tenants esthétiques et narratifs : il ne s’agit ni plus ni moins que du pilote ultra-luxueux d’une série prochainement disponible sur tous vos écrans, à la télé ou en streaming. L’hystérie culturelle et même politique qui a accompagné la présentation cannoise d’Okja et de The Meyerowitz Stories cette année (deux films produits et diffusés en France exclusivement sur Netflix, sans passer par la case diffusion en salles) n’était qu’un épiphénomène dans une gigantesque redistribution des cartes à l’échelle internationale. Auparavant, les séries télé pouvaient se terminer (ou pas, voir Twin Peaks et son monstrueux et fabuleux prequel ciné Fire Walk With Me) dans les salles obscures ; désormais, c’est là qu’elles peuvent commencer leur vie aussi.
Domination de la laideur
Dommage que cette passionnante porosité entre cinéma et série, entre salles obscures et VOD, ne soit pas l’occasion pour le réalisateur de La Tour sombre, le Danois Nikolaj Arcel, de proposer autre chose que cet affligeant gloubi-boulga bruyant et indigeste (pour les expérimentations esthétiques, cet été, c’est bien à la télévision que ça se passe, dans la troisième saison de Twin Peaks – encore et toujours elle – entièrement réalisée par David Lynch). L’intrigue du film se résume à une vague lutte entre le Bien (un cowboy solitaire incarné par un Idris Elba un peu monotone) et le Mal (Matthew McConaughey en très vilain croquemitaine botoxé, qui enterre définitivement ici sa seconde carrière). Dans notre monde, un jeune garçon taciturne fait des cauchemars à répétition, dans lesquels une gigantesque tour, qui protège l’univers de l’Apocalypse, est menacée de destruction par l’affreux sorcier McConaughey. Le gamin réalise rapidement que ses rêves sont réalité et trouve un portail vers le monde parallèle qui le mène vers la Tour, le Pistolero taiseux et le sorcier maléfique…
Passons sur la laideur sidérante du film, entièrement aplati par un filtre grisâtre qui donne l’impression d’avoir ouvert un fichier mal compressé sur son ordinateur. Le scénario tente maladroitement de faire tenir un maximum d’informations et de scènes-clés en moins de deux heures, tout en offrant au public estival son quota d’effets spéciaux et de scènes spectaculaires. Le fait est que rien ne fonctionne, le film ressemblant à un très long résumé des épisodes précédents, faisant se succéder les moments-clés sans réel effort de cohérence. Tout sonne faux, lisse et froid, étrangement dénué de toute charge émotionnelle, de toute empathie. Même les rares tentatives d’insuffler un peu d’humour dans ce gros pudding tombent complètement à plat, comme si le logiciel qui a présidé à la production du film avait été mis à jour à la dernière minute avec un update « rires gras ». Reste à voir maintenant si le succès de ce pilote gonflé aux hormones rencontrera suffisamment de succès pour que la première saison de La Tour sombre soit commandée…