Héros best-seller du romancier Tom Clancy, passé à travers ses aventures (dix-sept romans à ce jour) de Marine à président des États-Unis en passant par analyste de la CIA, John Patrick « Jack » Ryan a du mal à montrer une présence mémorable comme personnage de cinéma. Pas facile quand, en cinq films, on a été incarné par quatre acteurs différents. Et il faut dire qu’en dehors — peut-être — des deux films où Harrison Ford tient le rôle (Jeux de guerre et Danger immédiat), l’aura du personnage a pâti de certains handicaps : la fadeur criante de l’interprète (Ben Affleck dans La Somme de toutes les peurs) ou le surplus de charisme d’un partenaire (Sean Connery en imposant à Alec Baldwin dans le meilleur des cinq films, À la poursuite d’Octobre Rouge). Dans The Ryan Initiative, reboot non adapté d’un roman de Clancy mais tiré d’informations disséminées dans l’œuvre (Ryan, jeune analyste financier et ancien Marine, est recruté par la CIA), le rôle est échu à Chris Pine, le nouveau « capitaine Kirk », et on ne peut pas dire que c’est cet acteur qui lui donnera une épaisseur décisive. Très pro, sans doute trop, dans le rôle du jeune et brillant cerveau pas étranger au combat et qui devra bon gré mal gré retourner sur le terrain, affichant un physique plutôt singulier pour un héros d’action (une remarque fusera même sur son récurrent « sourire de boy-scout en rando »), il lui aurait cependant fallu un supplément de personnalité pour s’imposer, surtout face aux rôles secondaires que le réalisateur Kenneth Branagh persiste à mettre en avant — à tort ou à raison.
Il y a d’abord Kevin Costner dans le rôle du recruteur et mentor, toujours pro mais dans un meilleur sens du terme que Pine, plus épais, et dont on est heureux, après son passage dans Man of Steel, de retrouver le talent sur la durée d’un long-métrage. Mais il y a surtout (et on s’en réjouit moins) Kenneth Branagh lui-même. Celui-ci s’est arrogé le rôle du méchant Russe désireux d’en découdre avec l’Amérique en combinant transactions boursières et terrorisme — ce qui ressemble trop à un bon prétexte pour se filmer en gros plan sur son visage, ou en plan large menaçant avec église orthodoxe exotique en arrière-plan, ou en introduisant son personnage de dos (comme si c’était censé entretenir le suspense) dans une scène plus racoleuse qu’efficace. Voilà qui rappelle à notre mauvais souvenir le narcissisme dont il a pu faire preuve dans ses déjà anciennes productions shakespeariennes. Il y a enfin, étonnamment intrigant, le cas Keira Knightley. Dépositaire du rôle un peu ingrat, trop vite schématisé, de la sweetheart découvrant les activités de son espion de fiancé, l’actrice agace un peu au début, forçant maladroitement son jeu pour imposer son personnage comme contrepoids au mâle faisant cavalier seul. Puis, elle semble se résigner au retrait à l’arrière-plan, mais c’est pour susciter un beau moment d’intérêt, durant une scène-clé : observatrice muette vers laquelle la caméra se tourne régulièrement, elle se fait alors le modeste reflet du dépassement du spectateur face à une intrigue allant trop vite, figure dont on attend qu’elle sorte de son silence pour briser, même éphémèrement, la routine. C’est peu, mais c’est toujours une part d’identification à nous mettre sous la dent.
Thriller automatique
Car il faut bien dire qu’en dehors de l’intérêt, un peu distant, d’observer les personnages et les méthodes de jeu d’acteur qui les animent, The Ryan Initiative ne passionne pas vraiment. Passé son habile prémisse consistant à retirer le héros du terrain pour l’envoyer derrière un bureau puis lui faire faire le chemin inverse (l’intrigue financière n’étant évidemment qu’un prétexte à l’action pure), le film gaspille son potentiel en l’exploitant en mode automatique, trop souvent sans prendre le temps d’en réaliser tout l’intérêt. En dehors des plans sur lui-même, Branagh réalisateur emballe son produit sans la moindre inspiration, ce qui se traduit notamment, et sans surprise, par une action brouillonne, sur-découpée et déficiente en sens de l’espace (gênant pour une course-poursuite dans Moscou). Quant au versant d’investigation (puisqu’il s’agit d’une chasse au terroriste), il est sèchement exécuté dans des phases d’inspiration subite des personnages enquêteurs, qui n’ont alors plus que la seule fonction d’enchaîner les déductions pour passer à la phase d’action suivante, refrénant toute la dimension humaine qu’ils pourraient manifester dans ces moments-là, expédiant les sous-textes possibles et les sous-intrigues esquissées (tels que le destin du fils de l’antagoniste russe, bâclage d’un beau début de ramification du récit). On n’est pas convaincu que le nouveau Jack Ryan fasse le poids parmi les actuelles franchises de blockbusters hollywoodiens : même au milieu de l’absence de personnalité qui régit la production actuelle, la concurrence est rude.