Tiré d’un roman de Mitch Cullin, Tideland est l’histoire fantasque et fantastique d’une petite fille, Jeliza-Rose, qui va faire l’apprentissage de la vie d’adulte auprès de personnages paradoxalement tout droit sortis d’une imagination d’enfant. Débarquée avec son héroïnomane de père dans une maison abandonnée – hantée ? – au cœur d’une campagne désolée, brûlée par le soleil, la voilà soudainement confrontée à la solitude et à la mort, refusant de choisir entre réel et imaginaire… Mais les errances de son esprit, trop débridées, sans le moindre fil conducteur, ne provoqueront que l’ennui.
Et de deux ! Après le naufrage des Frères Grimm, sorti début octobre 2005, Terry Gilliam signe avec Tideland, qui serait selon lui « la rencontre entre Alice aux pays des merveilles et Psychose », un nouvel échec. Deux d’affilée pour un réalisateur aussi talentueux que l’ex-Monty Python, c’est un peu dur pour l’admirateur sans concession que l’on est. De là à dire qu’on ne le reconnaît plus, il n’y a qu’un pas. Qu’on ne franchira pas, toutefois…
C’est que, contrairement à son affligeant dernier film, qui portait avant tout la marque des financiers de Hollywood, on retrouve ici la patte artistique, la griffe visuelle de Gilliam, sa folie douce, son imaginaire décalé et surtout, bricolé. Tourné en moins de deux mois (une parenthèse au cours des semaines d’attente pour ses Frères Grimm) avec un budget minimum, Tideland renoue avec l’idée de film d’auteur, à la plastique soignée mais résolument bancale, à la verve créatrice débridée et aux effets spéciaux à la limite de la série B. On retrouve son goût pour les histoires à la frontière du fantastique, ses personnages dégingandés, presque irréels. Le meilleur de Tideland, c’est donc son univers sombre et loufoque, à la manière de Brazil. C’est sa photographie, aussi, merveilleusement inspirée des toiles du contemporain américain Andrew Wyeth (et notamment Le Monde de Christina, 1948), tout en cadrages tordus et en lumières tamisées signés Nicola Pecorini, un habitué de Gilliam.
Mais voilà, pour le reste, tout est mauvais. La confiance en Terry Gilliam, qui nous amène devant l’écran, et l’enthousiasme transmis d’emblée par les premières images, les premières scènes du film, s’estompent rapidement pour laisser place à une attente jamais assouvie : celle, tout simplement, d’une histoire à se laisser conter. On attend des mésaventures, des rebondissements, ne serait-ce qu’un peu de rythme ; on en sera pour ses frais. C’était le principal reproche formulé par les détracteurs du polémique Las Vegas Parano, des mêmes Gilliam et Grisoni : la virée de deux guignols de junkies dans la ville du vice ne constitue pas un scénario. On répondra que le film reposait avant tout sur les personnages – véritable duo comique – et les dialogues à l’humour décalé, provoqués par des situations absurdes finement croquées. Rien de tout cela dans Tideland.
Au contraire, les personnages du film, au nombre de cinq ou six au maximum, ne sont jamais attachants. Mis à part Noah – exceptionnel Jeff Bridges en rock-star en fin de vie (c’est peu de le dire) qui se prépare au dernier des voyages en se faisant injecter de l’héroïne par sa propre fille –, aucun rôle n’est suffisamment abouti, aucune psychologie assez travaillée pour créer l’adhésion. Pas même ceux de la jeune Jeliza-Rose, jamais mièvre (c’est toujours le risque avec les rôles d’enfants) mais rarement drôle ou attendrissante. Ni crédible, d’ailleurs. Jodelle Ferland (Silent Hill), la jeune actrice qui l’incarne, est-elle déjà trop sérieuse, trop professionnelle, trop adulte ? Toujours est-il qu’elle ne parvient pas à insuffler à son personnage la naïveté, le charme, la poésie qu’il lui aurait fallu. En un mot, on ne l’aime pas. Que dire alors de ces effrayants Dell et Dickens, une sorcière borgne adepte de nécrophilie et son frère attardé ? D’autant que Brendan Fletcher n’est pas Brad Pitt, autre fou de Gilliam, qui apportait une grande partie de la puissance de L’Armée des Douze Singes. Et quand on finit par nous imposer un flirt improbable entre la petite fille et le benêt (d’une bonne vingtaine d’années, tout de même), l’ennui laisse place au mieux à l’incompréhension, au pire à l’écœurement, et on attend la fin en se tortillant sur son siège.
Finalement, quelle est la cible de Tideland ? Certainement pas les enfants, qui feront des cauchemars pendant des semaines à la seule évocation des personnages, tant le film manque d’humour et d’humanité dans son approche de ces freaks. Mais pas non plus les adultes, qui s’ennuieront à mourir en attendant une issue à cette interminable suite de saynètes plus ou moins morbides, sans fondement et sans morale. Dommage, parce que les thèmes esquissés, le pouvoir de l’imaginaire, la solitude de l’enfance et le désarroi face à la mort, étaient sacrément séduisants.