Révélé par Un monde sans femmes, Guillaume Brac s’attaque avec Tonnerre à son premier long, où il retrouve Vincent Macaigne en rockeur fleur bleue et dépressif exilé dans une petite ville de l’Yonne. Si Brac parvient à convaincre là où ne l’attendait pas – l’affirmation d’une identité visuelle –, le violent virage narratif qu’opère le film à mi-parcours met en lumière les limites de son regard de cinéaste.
Sous la neige
Maxime (Vincent Macaigne), trentenaire toujours un peu adolescent, passe quelques semaines chez son père (Bernard Ménez), et tombe amoureux de la très jeune Mélodie (Solène Rigot). De l’esquisse assez fine de ce trio de protagonistes, transcendée – du moins dans la première partie du film – par la bienveillance naturelle dont témoigne le cinéaste à l’égard de ses personnages, Guillaume Brac tire le portrait d’un homme en proie à une passion naissante et entreprend la chronique d’une rencontre sentimentale. Si la douceur de l’approche n’est pas sans rappeler les fragments les plus réussis de Un monde sans femmes, le cinéaste dépasse toutefois les limites du précédent essai – une relative fadeur de la mise en scène – grâce à la singularité de l’envoûtant cadre enneigé qui sert de théâtre à l’intrigue. Les frimas de la petite ville de Tonnerre confèrent ainsi un parfum, un ton à une histoire d’amour croisée à la peinture d’une communauté provinciale et d’une ville, parfois sous un angle quasi documentaire (les habitants, les commerces), et parsemée de quelques touches romantiques – les décors qu’offre la ville, espaces blancs et déserts, rues enveloppées dans une brume nocturne. Le charme opère, le trait séduit. Et puis le film bascule.
Un cinéma sans femmes
Jusqu’ici irréprochable dans son approche des personnages, la mécanique déjà bien identifiable de Brac s’enraie. Le glissement s’opère en deux temps : tout d’abord, par le comportement même des protagonistes, dont les actions deviennent peu à peu odieuses. Mélodie disparaît sans mot dire, fait preuve d’une lâcheté déconcertante, et Maxime, effondré par ce qu’il considère comme une trahison, succombe à des pulsions de violence. Brac ne juge pas ses personnages, et on lui en saura gré. Mais la manière dont il justifie l’enlèvement et la séquestration d’un des protagonistes (l’événement dénoue le conflit, l’auteur en ressort apaisé, et les conséquences judiciaires sont nulles), sous couvert d’un élan romanesque, interroge. Plus encore, la façon dont il conçoit le personnage féminin, ballotté entre deux hommes et jamais doté d’une identité et d’une volonté propre, met en lumière le caractère très phallocentré de l’exploration du sentiment amoureux chez Brac. Déjà, dans Un monde sans femmes, la mère et la fille ne constituaient quelque part que deux faces d’une même pièce – la femme comme objet du désir: l’une source de malheur (la mère, amour impossible) et l’autre porteuse de rédemption (la fille). Ici, Mélodie se charge d’incarner les deux pôles. Chez Brac, la femme ne semble exister que dans ses interactions avec les figures masculines. Son importance n’est toutefois guère périphérique ; elle représente certes un phare pour les héros désorientés de Tonnerre et de Un monde sans femmes, mais elle apparaît également dans les deux cas comme une entité vampirique, cause de souffrances. Si Brac est un habile portraitiste de personnages masculins (Macaigne trouve ses meilleurs rôles chez le jeune réalisateur, et le duo qu’il forme ici avec Ménez constitue la force motrice du film), sa tendance à réduire la figure féminine au rang de fantasme – constructeur ou destructeur, voire les deux – limite irrémédiablement son cinéma.