On se souvient encore avec émotion de la fin de Toy Story 3 et de ses héros prêts à disparaître dans le brasier d’une décharge. Un chemin poignant vers la mort qui n’était pourtant qu’une fausse piste. Avec sa fourchette constituée de morceaux de déchets recyclés, Toy Story 4 s’attachait à nous rappeler que les jouets sont immortels, troquant l’horizon de la déchetterie pour celui de l’antiquaire, où de vieux bibelots attendaient d’entamer une seconde vie. Recycler plutôt que jeter : comme le notait Sylvain Blandy lors de la sortie du film, le quatrième volet s’achevait sur une grande roue pour rappeler, à l’aune d’un passage de relais (Woody léguant son étoile de shérif à Jessie), le mouvement circulaire dans lequel s’inscrivent les personnages pixariens. Buzz l’Éclair, l’une des figures iconiques du studio, n’avait jusqu’ici pas été directement confronté à cette obsolescence. Nouveau bibelot favori du jeune Andy dans le tout premier Toy Story, il était justement celui qui venait perturber l’équilibre du coffre à jouet, en ringardisant dinosaures et autres cowboys. Buzz l’Éclair, réalisé par Andy MacLane, propose de dévoiler le film préféré d’Andy, duquel est tirée la fameuse figurine. Sur le papier, le projet est assez clair : il s’agit de donner un peu de chair au jouet, de lui offrir une consistance en distillant de l’humain dans le non-humain, dans la pure tradition Pixar (jouets, animaux, monstres : tous se destinent, à un moment ou à un autre, à s’humaniser).
Mais le film est plus roublard qu’il n’en a l’air et dessine une trajectoire exactement inverse dans sa première partie. Piégé sur une planète hostile avec d’autres colons de l’espace, Buzz doit trouver une solution pour repartir vers des contrées plus hospitalières. Pour ce faire, le pilote chevronné multiplie des vols en hypervitesse afin de tester la résistance d’un cristal pouvant servir de moteur intersidéral. En orbitant autour de l’astre voisin (là aussi, il est question de s’inscrire dans une ronde), il découvre qu’après chaque virée, ses compagnons restés au sol ont vieilli tandis que lui n’a pas subi le passage du temps. On pense à Interstellar, mais aussi, plus étonnamment, au dernier Top Gun, qui suit aussi les exploits d’un pilote venu d’une autre époque. Comme Maverick, Buzz cherche à aller aussi vite que la lumière (c’est un éclair) et s’avère incapable de mourir, condamné à voir ses partenaires disparaître avant lui (après Val « Iceman » Kilmer : la space ranger Alisha Hawthorne). S’il échoue à chaque essai, l’astronaute renaît toujours de ses cendres, plus proche du jouet increvable que de l’être humain (c’est ce qui frappe, plastiquement, sur le visage de Buzz, dénué de ride ou d’égratignure). Le film atteint son pic lors d’une séquence compilant les différentes tentatives de l’astronaute : Buzz s’envole parmi les étoiles, rentre au bercail puis s’éclipse de nouveau, piégé dans une boucle insensée avant de constater, à l’arrivée, à quel point il n’a fait que perdre son temps. Après « l’infini et au-delà », mantra répété comme une malédiction, il ne reste plus qu’un foyer vide, preuve de son incapacité à s’ancrer quelque part dans le cosmos.
À partir de là, Buzz l’Éclair figure le progressif renoncement de l’astronaute à vouloir dompter le temps ; là encore tel Maverick, il refuse au départ d’entraîner de nouvelles recrues et de jouer son rôle de mentor, préférant l’appel de l’aventure pour prouver qu’il est encore jeune. C’est à cet endroit que le film déçoit le plus. Accompagné d’une équipe de bras cassés, l’astronaute doit apprendre à accepter l’aide d’autrui au gré de gags rebattus (ceux notamment qui impliquent des IA récalcitrantes) et de péripéties dont la vacuité s’explique, sans doute, par la teneur anecdotique d’un récit que l’on sait dénué d’enjeu (comme l’annonce un intertitre en ouverture, Buzz l’Éclair n’est qu’un film dans le film, un « produit dans le produit »). Plus regrettable encore : les personnages restent la plupart du temps solidement ancrés à la surface de la planète sur laquelle ils sont piégés, de sorte que le film évite de se frotter aux défis figuratifs que pose son récit de science-fiction. À l’image du chat robot Sox, mascotte du film qui passe son temps à se rouler en boule, la machine Pixar ronronne loin des étoiles.