La sortie DVD d’À côté de Stéphane Mercurio est une bonne nouvelle à plusieurs égards. D’abord parce qu’une session de rattrapage est nécessaire pour ceux qui n’ont pas vu ce formidable documentaire n’ayant eu ni la distribution ni l’écho qu’il méritait. Ensuite, l’édition (Montparnasse) est de qualité et permet de poursuivre la réflexion sur des questions de société des plus cruciales : justice, démocratie, liberté.
Si l’on peut se féliciter du fait que le cinéma documentaire a gagné la partie en se faisant une place légitime sur les écrans, on est obligé de constater qu’il y a un revers, puisqu’on est très souvent en présence de produits manufacturés d’une grande pauvreté cinématographique et/ou d’une arrogance sans nom, dépourvus des quelconques aspérités du réel qu’ils prétendent représenter et dans lesquels le sujet se suffirait à lui-même. Découvrir ou redécouvrir À côté, c’est d’abord faire le constat évident de la solidité et de l’efficacité de son dispositif cinématographique, celui d’un grand film. De ceux qui donnent à voir, où l’émotion et l’indignation n’étouffent pas le sens et, au contraire, accorde la possibilité de penser le sujet. Avec un regard sincère et humaniste, Stéphane Mercurio représente en cela, ce n’est heureusement pas la seule, une anti-Moore, en accordant la réflexion, et une contre-Arthus-Bertrand, en plaçant l’humain au centre (et en se situant parmi eux) de ses attentions.
Pour rappel, À côté fonctionne selon un double régime. L’essentiel est un documentaire de terrain basé sur l’observation et l’entretien dans une maison d’accueil à Rennes, « à côté » (un mur mitoyen sépare les deux entités) de la prison des hommes. S’intercalent des moments suspendus aux photographies de Grégoire Korganow baignées par la belle bande son et musicale très élaborée d’Hervé Birolini. On obtient ainsi un double portrait. Celui bouleversant de femmes qui semblent condamnées à une double peine, mais aussi, en creux, celui d’un milieu carcéral déshumanisé et kafkaïen : pourtant jamais visible, maintenu dans un angle mort, il résonne fort, très fort. Et longtemps, car À côté ne fait pas partie de ces produits que l’on consomme pour mieux les oublier. Si l’idée que derrière les détenus il y a des familles ne nous avait pas effleuré l’esprit, il est difficile de plus l’avoir en tête après le visionnage de ce film.
La richesse et le bien-fondé de cette édition DVD résident dans sa cohérence. Si les deux scènes coupées n’apportent rien de plus, si ce n’est deux exemples supplémentaires de la banalité d’une violence absurde, les autres suppléments accordent plusieurs formes de prolongements bienvenus au film. Ce n’est pas peu dire que Stéphane Mercurio vit intensément ses films et ses sujets, qu’ils sont pour cette femme de terrain intuitive un engagement nécessaire et complet. La réalisatrice était parvenu notamment à organiser, peu avant la sortie d’À côté, une projection aux sénateurs de la République. Ce jour-là, les bancs étaient dépeuplés, sans doute avaient-ils rejoint leurs circonscriptions… Qu’à cela ne tienne, elle perpétue À côté en le présentant lors de multiples séances, souvent auprès d’associations.
De la suite dans les idées, c’est aussi ce que l’on constate avec le documentaire Envie de justice (2000) qui figure en bonus. À la différence d’À côté, situé en aval de la justice, celui-ci se place en amont. On y suit Sylvie Weil, une avocate qui assure une permanence juridique mise en place par la mairie de Bondy (qui y a mis fin sans explication en octobre 1999) en Seine-Saint-Denis. On y voit défiler des individus désorientés face à une machine judiciaire aux airs de grande broyeuse. Comme celui du milieu carcéral dans À côté, on voit se définir en creux un portrait : « tu as notre société en l’espace de deux heures » confie la conseillère ; voilà qui est laconique, mais tout est dit. On peut apprécier aussi, grâce à ce film, que le dispositif discontinu d’À côté est ici en gestation. D’une part les séquences dans la permanence, d’autre part l’individualisation de certains protagonistes dans leur cadre quotidien, avec une image moins nette et légèrement traînante. Et toujours cette idée de ne pas lâcher son sujet ; la bande-son de ces courtes scènes est formée de conversations téléphoniques après-coup, dans lesquelles la réalisatrice s’informe des suites de la consultation. Dans la plupart des cas, on ne dépasse pas cette première étape : une justice trop chère, trop compliquée, dans un langage trop étranger. « Si on pouvait commencer par faire un État de droit » lâche Sylvie Weil au tout début d’Envie de justice, c’est aussi ce que semblent nous dire la caméra et les films de Stéphane Mercurio ; le fait de vivre en démocratie suppose une grande vigilance, voilà un rappel des plus nécessaires.
Autre supplément très intéressant : l’entretien avec Chantal, 42 ans de vie commune avec son mari, dont trente-cinq de « parloir », deux ans après le tournage. Elle est l’épouse de Georges Courtois, célèbre pour avoir pris en otage, avec l’aide de complices, la cour d’assises de Nantes pendant trente-six heures en 1985, transformant cette entreprise en une tribune médiatique et un violent réquisitoire contre la justice française. Le propos de cette protagoniste d’À côté est sans doute le plus bel hommage qui puisse être fait à Stéphane Mercurio. D’abord parce qu’elle confie que le film a rendu possible une prise de parole, ainsi qu’une formulation et un constat, remplaçant une honte et une forme d’incapacité à communiquer et à témoigner de sa condition de femme de détenu. Chantal Courtois ayant accompagné le film dans de nombreuses projections, celui-ci lui a offert une déculpabilisation et une sorte de réinsertion. Porter le film tout en étant porté par lui, difficile de trouver une plus belle forme de réciprocité et d’échange dans le cadre d’un documentaire.