Pour son premier long-métrage, Nicholas Ray frappe très fort : Les Amants de la nuit est d’une beauté et d’une précision impressionnantes, et annonce par ailleurs toutes les thématiques chères au cinéaste, de l’adolescence rebelle à une certaine forme de fatalité romantique. À (re)découvrir.
Nicholas Ray, cinéaste emblématique de l’âge d’or hollywoodien n’a pourtant connu qu’une courte heure de gloire. Débutée en 1948 avec Les Amants de la nuit, elle s’achève seulement dix ans plus tard avec Traquenard (Party Girl), après quoi le réalisateur perd de sa superbe dans des péplums insignifiants tels que Le Roi des rois ou Les 55 Jours de Pékin. Mais cette décennie, aussi courte soit-elle, est marquée par la sortie simultanée de films incroyables qui ont une influence certaine sur des cinéastes tels que Martin Scorsese, Jean-Luc Godard, François Truffaut ou encore Wim Wenders. De Johnny Guitar à La Fureur de vivre en passant par des œuvres moins connues mais tout aussi fascinantes telles que Derrière le miroir et Le Violent, Nicholas Ray fait preuve d’une admirable virtuosité, usant de toutes les techniques de mise en scène pour donner à ses films quelque chose d’unique. La couleur – et plus précisément le Technicolor – donne à certains de ses films des allures de peinture mouvante (Johnny Guitar, Traquenard), son sens inouï de l’espace (rappelons que Ray est d’abord issu d’une formation d’architecte) donne à certains de ses plans une géométrie schizophrénique (Derrière le miroir). Mais ce qui bouleverse le plus dans les chefs d’œuvre de ce cinéaste, c’est cette manière d’attraper des personnages au bord du gouffre, de tenter de les sauver en les faisant exister au cinéma, en leur donnant tout simplement la possibilité d’être bigger than life (titre original de Derrière le miroir). Que ce soit en peignant la jeunesse rebelle (La Fureur de vivre) ou encore l’auto-destruction d’un homme violent (Le Violent), Nicholas Ray fait toujours preuve d’un humanisme aussi débordant que désespéré.
Ce pessimisme éclate donc dès son premier long-métrage, Les Amants de la nuit (They Live by Night). Aux États-Unis, pendant la Grande Dépression, un jeune innocent injustement condamné pour meurtre, Bowie (Farley Granger), s’évade de prison accompagné de deux gangsters endurcis. Loin d’être l’archétype du héros, le jeune homme ne pense ni à se venger, ni à tomber dans des activités illégales. Il n’espère qu’une chose : retrouver une vie normale où il lui sera permis de vivre son amour au grand jour avec la jeune Keechie (Cathy O’Donnell). Malheureusement, les deux anciens complices n’entendent pas laisser le jeune Bowie vivre tranquillement et après une bagarre se mettent à traquer le jeune couple pour qui aucune issue ne semble se dessiner. Ne pouvant compter que sur eux-mêmes, ils deviennent alors deux figures emblématiques du cinéma de Ray. La sincérité de cet amour qui les unit et leur donne momentanément de la force n’y fait rien. Le système (l’injustice, la loi du plus fort) condamne précocement cette cavale dont l’issue ne peut être que tragique. Tout comme dans le magnifique La Fureur de vivre, les deux jeunes adultes sont ici mis au ban d’une société qui ne les comprend pas. Conduit à commettre l’irréparable, les deux personnages s’inscrivent totalement dans la tradition la plus pure du cinéma romanesque de Ray. Contrairement à l’édition de Montparnasse qui comprenait un grand nombre de bonus, RKO n’en propose malheureusement aucun. Mais la qualité de l’image et le prix très abordable du DVD compensent tout à fait ce déficit. Toutes les raisons sont donc réunies pour redécouvrir au plus vite cette œuvre fondatrice du cinéma de Nicholas Ray.