Dans 4h44 : Dernier jour sur Terre, de nouveau sur les écrans à l’occasion de la sortie en salles de Tommaso, un jeune livreur sonne à l’appartement new-yorkais de Skye (Shanyn Leigh) et Cisco (Willem Dafoe). Avant d’être accueillis, les deux amants rompent leur étreinte et un premier dialogue se noue entre le jeune homme et Cisco par l’interphone où apparaît son visage pixelisé. Le couple s’enlace une seconde fois avant de s’éloigner à nouveau, puis les portes palières de l’ascenseur se séparent pour laisser le livreur pénétrer l’appartement. La dynamique de la séquence consiste alors en une série de retrouvailles et de désunions où l’espace absolu du huis-clos, reconfiguré par les outils de télécommunication, s’ouvre peu à peu au monde extérieur à l’approche de la fin du monde.
À la suite d’un dialogue entravé par la barrière de la langue, le jeune homme demande fébrilement s’il peut passer un appel sur Skype. Tandis que Cisco s’éloigne pour dîner avec Skye et laisse le livreur seul devant l’écran d’un ordinateur, la scène semble prendre place dans un espace dont l’unité est renforcée par la longueur du plan. Les mouvements latéraux de la caméra épousent sans coupe le déplacement des trois corps dans l’espace et viennent mettre en avant leur promiscuité. L’unité du plan se voit rompue lorsque Skye remarque que la famille du livreur se trouve à l’autre bout du monde, au Vietnam. L’espace du film, jusqu’alors cantonné aux limites du studio new-yorkais, est simultanément étendu et scindé par le surgissement de cette distance : la télécommunication reconfigure un espace devenu élastique et divise l’appartement en deux parties. D’un côté le couple new-yorkais est réuni dans le même cadre en train de manger, de l’autre la famille vietnamienne apparaît à l’intérieur d’un même plan à l’aide de légers mouvements de caméra qui relient l’écran d’ordinateur au visage du livreur.
Juste avant de refermer l’écran, un beau geste traduit la distance que la télécommunication numérique vient en partie de combler : comme pour panser la plaie induite par le déchirement spatial entre lui et sa terre d’origine, le jeune homme embrasse ses mains puis caresse un visage sur l’écran. Après ce geste de tendresse, la conversation s’achève et deux plans viennent à nouveau mettre en exergue puis atténuer la distance entre le livreur de ses proches. Le premier marque le début de la fermeture de l’ordinateur et replace le corps du jeune homme dans l’espace de l’appartement, loin de sa famille. Le second est un gros plan qui fait suite à la fermeture complète de l’appareil : le reste de l’espace disparaît hors-champ et le jeune livreur embrasse l’ordinateur, dont la surface s’est substituée à la peau de ses proches. La séquence se conclut sur la sortie du jeune homme, enlacé par Skye lorsqu’il se dirige vers l’ascenseur. Il exprimera ensuite sa gratitude envers le couple avant que les portes de l’ascenseur ne se referment et fassent écho à une distance qui a pu être comblée. Ce n’est qu’après avoir été témoin de cette scène que Skye et Cisco, désormais conscients de la distance relative qui les sépare du reste du monde, décideront eux-aussi d’appeler leurs proches une dernière fois.
