Gemini Man n’est pas un film sans défauts, mais il ouvre, comme on l’explique ici, des perspectives nouvelles pour le cinéma contemporain. Dans la série d’émissions « Une autre histoire du cinéma » réalisée en 2006 avec François Caudac, Jean Douchet ne cessait de revenir à une conception du septième art comme « machine », dont les conditions matérielles et les innovations techniques donnent forme à l’écriture filmique. C’est l’une des missions possibles de la critique que de rendre compte de la manière dont une œuvre s’empare d’une innovation (hier, la couleur ou le scope ; aujourd’hui, la performance capture ou la 3D) et opère une rencontre entre un œil et un outil. Dans Gemini Man, les 120 images par seconde ou la présence d’un double rajeuni de Will Smith sont, bien plus que des gadgets, le terreau d’une remise à plat du cinéma et de ses potentialités. On peut même parler de révolution au sens strict du terme, puisque les expérimentations techniques impliquent en même temps de revenir à un point d’origine : une gare et un train qui s’élance.
Non seulement les 120 images par seconde de Gemini Man s’inscrivent dans l’horizon tracé par Eadweard Muybridge ou Étienne-Jules Marey (le défilement d’images photographiques comme moyen d’ausculter le mouvement d’un corps), mais de surcroît l’ouverture du film dans la gare de Liège renvoie en effet à L’Arrivée du train en gare de La Ciotat des frères Lumière, avec ce plan tourné depuis la bordure d’un quai dont part cette fois-ci un train à grande vitesse.
Ce point de jonction entre le cinéma des origines et les dernières avancées technologiques s’avère d’autant plus passionnant au regard de l’une des caractéristiques les plus identifiables du cinéma numérique des années 2010, dont l’horizon défricheur se couple à un retour vers le primitif. On peut, pour s’en convaincre, s’arrêter sur quelques titres et leurs points de départ : Avatar de James Cameron (2009) rejoue la découverte de l’Amérique et le mythe de Pocahontas, tout en brossant le portrait d’un homme qui réapprend à marcher ; La Grotte des rêves perdus de Werner Herzog (2011), film en 3D, visite la grotte Chauvet et s’ouvre sur l’observation d’un lancer de javelot ; Hugo Cabret de Martin Scorsese (2011) revient à Méliès et répète, lui aussi, le spectacle de l’arrivée d’un train, cette fois-ci en trois dimensions, etc. On pourrait continuer la liste longtemps, jusqu’à Gemini Man, pour circonscrire l’élan au fondement de ces différents films : tout en offrant des perspectives inédites, ils en reviennent à l’essence du cinéma, soit la captation d’un mouvement.