Le 23 mars, même si l’une s’avère de nationalité britannique, ce sont bien deux figures majeures du cinéma américain qui se sont éteintes. Étrange ironie faisant cohabiter deux faces du 7e art, l’endroit et l’envers. Une représentante des artifices hollywoodiens d’une part, un inlassable travailleur du réel de l’autre : Elizabeth Taylor et Richard Leacock. Autre collision, la 33e édition de Cinéma du Réel ouvrait ce soir-là, et une dédicace – prévue de longue date – figurait au programme du festival. « The Feeling of Being There » en est l’intitulé, emprunté aux mémoires du cinéaste qui associent écrits et extraits de films dans un DVbook. Soit – encore une fois – un vieux bonhomme ne jouant pas au donneur de leçon, mais continuant de tracer sa route en faisant simplement preuve d’ambition et d’un goût immodéré pour l’expérimentation. Autant de constantes que l’on retrouve tout au long de sa longue carrière. Vendredi 25, la soirée spéciale Richard Leacock a pris évidemment une tournure particulière dans ces conditions. Mais si cette séance fut un hommage, bien légitime, elle s’est tenue au plus loin d’une plombante mise en bière. Pour preuve, ce fut certainement celle où les rires ont le plus fusé depuis le début de la manifestation, notamment devant le corrosif Chiefs et surtout l’hilarant Happy Mother’s Day. Et avec Canary Island Bananas, tourné en 1935, qui ouvrait ce programme de courts métrages, on a assisté à la naissance d’un cinéaste, alors âgé de 14 ans, mais à peine moins mûr que ces bananes dont on a tout le loisir de suivre la trajectoire. Valérie Lalonde, épouse de Richard Leacock, qui a tenu à être présente cette soirée, a délivré une parole libre, vive, percutante et drôle, se désignant, au moins pour cette occasion, comme une « veuve joyeuse ». Quelque chose comme la vie a soufflé dans la salle et, en tendant l’oreille, on a pu entendre : the Real must go on…