« Depuis son invention, une destination première du film semblait être de rendre visible l’histoire. Il pourrait représenter le passé et mettre en scène le présent. Nous avons vu Napoléon à cheval et Lénine dans le train. Le film était possible parce qu’il y avait l’histoire. Sans s’en apercevoir, comme en se déplaçant sur l’anneau de Moebius, on a changé de côté. Nous regardons et sommes obligés de penser. Si le film est possible, alors l’histoire est également possible. » Ces mots sont articulés avec calme par une voix-off à la fin de Videogramme einer Revolution (1992, co-réalisé avec Harun Farocki), alors qu’on se prépare à assister à la mise en scène télévisée de la capture, du procès et de l’exécution des époux Ceauşescu. Videogramme einer Revolution, Out of the Present (1995) et L’Autobiographie de Nicolas Ceauşescu (2010, sortie en salle le 13 avril) : une trilogie vertigineuse au sein de laquelle la circulation s’avère des plus intenses. Faire de l’image une forme qui pense, et à penser : c’est ce à quoi invitent Andrei Ujică et ces trois films.
Images déjà là
Avec beaucoup de précaution, il peut être intéressant de partir de l’intuition de Rossellini, qui, en 1944 – 45, comprend que les images lui tendent les bras . Bien entendu, dans son cas, elles restent à faire. Il s’exécute en allant au-devant d’elles, réunissant quelques bobines hétérogènes de pellicules, sortant la caméra des studios (qui n’existaient plus) pour lui faire éprouver l’expérience de la ruine et de la crise du réel. Le geste d’Andrei Ujică ne consiste pas à descendre dans l’arène – comme le cinéaste italien avec Rome ville ouverte, Païsa et Allemagne année zéro –, ou d’une toute autre manière : en collectant des images existantes, des images déjà là. Notamment celles d’une autre grande rupture du XXe siècle, ces années 1989 – 1992, qui voient précisément s’effondrer l’infrastructure géopolitique née de la Deuxième guerre mondiale (Videogramme einer Revolution et Out of the Present, alors que la trajectoire de L’Autobiographie de Nicolas Ceauşescu y conduit). En guise de sous-texte : il y a beaucoup d’images de ces événements, mais pas assez de regards et de pensées sur celles-ci. Variante : il n’y a pas de mauvaises images, juste de mauvais regards.
Pas assez de temps non plus. Ces trois films décrivant chacun à leur façon la fin d’un monde s’agencent comme des retours sur images propices à une pensée que le flux quotidien – d’aujourd’hui mais aussi d’hier – ne permet pas. Ainsi Ujică représente un cinéaste pour le moins singulier, sans caméra mais avec visionneuse et table de montage. Utilisateurs d’images réalisées par d’autres, ce qui revient pour lui à énoncer des images sans en avoir été l’énonciateur originel : non un œil derrière l’objectif de l’appareil, mais un regard postérieur entraînant une reformulation. Tentons la qualification de « remise » en scène, une façon aussi de remettre en jeu ces images, de les replacer devant les regards. Il ne s’agit pas de jouer avec les mots, mais rarement le fait de monter et de montrer des images aura été aussi lié. L’objectif ne consiste pas à démontrer avec ces images – c’était souvent leur but originel –, les impressionnantes opérations de montage qui président à cette trilogie sont surtout à considérer comme un mouvement de démontage/montage et de déconstruction/(re)construction de deux flux entremêlés : images et histoire.
Ainsi Videogramme einer Revolution constitue un montage réalisé (avec Harun Farocki) à partir d’un matériau de 125 heures de séquences tournées entre les 21 et 25 décembre 1989 (sauf les deux premières séquences, antérieures à ces dates), les quelques jours scellant le sort de Nicolae Ceauşescu. Deux régimes sont présents : images télévisuelles et captations vidéo amateurs. Out of the Present contient principalement les images tournés entre mai 1991 et mars 1992 par les cosmonautes (280 heures de rushes) – notamment Krikalev – d’une mission spatiale dans la station Mir, ainsi que celles réalisées en 35mm (semble-t-il la première fois qu’une telle caméra était envoyée dans l’espace). Aussi la représentation des événements sur Terre émane de caméramans amateurs, sur un mode assez proche de Videogramme einer Revolution. On note enfin la présence – cruciale – d’un plan de Solaris d’Andreï Tarkovski. Quant à L’Autobiographie de Nicolae Ceauşescu, le matériau s’avère encore plus gigantesque puisque le Conducator était filmé en moyenne une heure par jour, aboutissant au total à une archive d’environ 10 000 heures. Le corpus issu de l’Archive nationale du cinéma et l’Archive de la télévision nationale met à disposition 1000 heures, à partir desquelles ce montage de trois heures a été réalisé.
Cette façon de procéder renvoie évidemment à des jalons de l’histoire du cinéma de montage d’archives, au sommet duquel trône sans conteste Le fond de l’air est rouge (1977 – 1993-1998) de Chris Marker – on peut citer, plus récent et moins fameux, Revue (2008) de Sergei Loznitsa. Avec toutes les évidentes différences, la complexité markerienne de l’énonciation et du commentaire – Chris Marker lui-même ? Un narrateur ? Un personnage ? – se retrouve en partie dans Videogramme eine Revolution, dont on ne sait si cette voix-off s’avère celle des co-réalisateurs ou bien d’une autre instance d’accompagnement du flux des images. Parfois très présente, elle s’absente, laissant le spectateur face à la confusion des images. La forme de prise en charge diffère dans Out of the Present et L’Autobiographie de Nicolae Ceauşescu. Dans le premier, le narrateur apparaît très clairement, il s’agit du cosmonaute Krikalev, qui prend en charge son propre récit, par sa présence à l’image, par les ponctuations régulières de sa voix-off rétrospective et du fait qu’il se trouve lui-même l’auteur et l’objet de nombreuses images (derrière la caméra ou selon un procédé d’auto-filmage). Pour le second, ni commentaire ni voix-off, on peut considérer qu’il s’agit d’une narration par l’image, d’une écriture du mouvement de celle-ci, définition première, rappelons le, du cinématographe. Il faut toutefois insister sur le fait qu’il s’agit d’images du pouvoir, très clairement énoncées par lui, secondées par une deuxième instance, celle se trouvant le plus souvent à l’image : Nicolae Ceauşescu, metteur en scène permanent de lui-même. D’où ce formidable titre : non le portrait, non l’histoire ou la biographie, mais une autobiographie, faisant se confondre vie publique et intimité.
Bien évidemment, derrière ces images déjà là, demeure l’énonciation, celle du « monteur-montreur » Ujică lui-même, avec Farocki pour Videogramme einer Revolution. Roumain, né à Timisoara, installé en Allemagne depuis 1981, il est tentant d’imaginer combien ce geste cinématographique contient une dimension de réappropriation et une volonté de compréhension d’un destin individuel mêlé aux soubresauts de l’histoire collective. Le geste s’avère presque revendicatif, un droit sur les images et un regard sur elles, afin de percer des formes d’opacité tenaces, où les données historiques sont indissociables de leurs représentations par l’image. On peut aussi tout à fait imaginer que le cinéaste se soit senti en empathie avec la position de Krikalev, le cosmonaute russo-soviétique se trouvant dans un ailleurs – en l’occurrence rien moins que dans l’espace – alors que son pays connaît la grande bascule. Formidable scénario du réel : parti d’URSS, il revient en Russie. En décembre 1989, Andrei Ujică a sans doute vu la Roumanie s’embraser, mais de l’extérieur, à distance, notamment par la médiation télévisuelle. Ces trois films peuvent être considérés comme une manière d’éprouver par l’image un vent de l’histoire vécu à distance (même si celui de l’Allemagne a pu souffler sur lui en 1989 – 1990). Ceci selon un temps relativement long – le règne de Ceauşescu – ou plus court – appelons ça des événements, avec toute la complexité du terme -, le renversement du dictateur roumain et l’implosion de l’URSS.
Le pouvoir a la caméra et l’image (ci-dessus), cette donnée structure largement ces deux films. Si le pouvoir perd donc ses deux associés, c’en est fini de lui. L’Autobiographie de Nicolas Ceauşescu s’ouvre et se ferme par deux parenthèses où caméra et image n’appartiennent plus au dictateur, ce sont les scènes stupéfiantes de son procès expéditif. Ici, il est mis en scène (ci-dessous).
Entre ces deux bornes, durant environ 2h50, on le voit se mettre en scène. On peut ainsi considérer le film comme un ample flash-back introspectif, avec, pour Ceauşescu, cette nostalgie d’une époque révolue, celle où il fut propriétaire de l’image, lorsqu’il était son propre metteur en scène. 1965 : un peuple défile pour honorer la disparition de Gheorghe Gheorghiu-Dej. Une foule et non des individus, encore moins un individu. On cherche encore le rôle-titre. Le voici : avec d’autres, il porte le cercueil du défunt. Partageant, dans un premier temps, l’image avec d’autres caciques du Parti, il s’individualise rapidement. La prise du pouvoir est aussi celle d’un cadre qu’il ne lâchera plus, si ce n’est pour se voir offrir son peuple en contrechamp. À la fin du règne, le contrechamp humain n’est plus aussi dense, on perçoit surtout de béantes façades, une monstrueuse architecture en travaux, des rues fatiguées parcourues par quelques silhouettes spectrales. À une reprise, il se fond dans la foule, rare moment de « partage » du cadre. Il accorde aussi ce rare privilège du cadre aux chefs d’État qu’il reçoit ou visite. Pour le reste, dans une opération de montage interne à l’image, lorsqu’il cohabite avec d’autres, ces derniers sont de simples figurants.
Entre temps, on aura cherché et trouvé le premier rôle féminin, avec lequel il accepte également de mutualiser le cadre. Elena Ceauşescu met du temps à y entrer, mais s’impose bientôt : constitution du fameux couple dictatorial.
Dans Videogramme einer Revolution, les images se font plus nombreuses et appartiennent à différents régimes visuels. On peut considérer que le cadre se « démocratise ». Pensons notamment à ce poète exalté, entouré d’une foule hirsute et anonyme, qui révèle la révolution à la télévision, comme une sorte d’annonciation au sens religieux (photogramme ci-dessous). On retrouve à terme un dispositif d’État, proche de celui qui précédait la chute de Ceauşescu. Ne pouvant se satisfaire de cette dissémination, l’image et la caméra se mettent à la recherche d’un pouvoir, d’un (nouveau) maître. Ceci prend particulièrement effet dans cette sorte de duel au sommet entre Ion Iliescu et Dumitru Mazilu qui entrent dans le cadre (un fléchage initial permet de les identifier) et tentent de le prendre. Ceci est rendu avec un montage alterné façon thriller politique, appel d’air fictionnel. Pour résumer, le film trace ainsi en trois temps la trajectoire suivante en terme de régimes d’images : 1) dispositif ordonnancé selon la règle dictatoriale – 2) désordre révolutionnaire, démultiplication et désordre des images – 3) aseptisation progressive et retour au dispositif de départ.
Être dans le cadre ou pas, telle est donc la question. Et ce que le filmeur choisi d’y mettre. Dans Videogramme einer Revolution, Ceauşescu perd le cadre, la « caméra change de camp » annonce la voix-off, « par curiosité plus que par choix » précise-t-elle. L’opérateur chargé de le suivre quotidiennement s’en détourne pour chercher la cause de l’agitation qui vient d’interrompre le discours du « Génie des Carpates ». Autre exemple, non mentionné par le commentaire : celui d’un vidéaste amateur qui filme dans son appartement. Dans un premier temps fixé sur le poste de télévision retransmettant le discours, il procède de la même manière : le filmeur panote sur sa droite, se lève afin de se rendre à la fenêtre du logement pour capter ce qui se déroule dans la rue. Quitter la représentation, rejoindre l’événement. Perte de l’image, perte du pouvoir : les dés sont jetés.
Autre dynamique liée à la valeur du cadre : la distance entre la caméra et « l’événement ». D’abord lointaine car « en danger » (séquence commentée à Timisoara), on filme d’abord sans être vu, d’une fenêtre, d’un toit, d’un balcon. Elle finit par descendre, par épouser l’événement, le cadrant au plus près. D’abord bicéphale, la révolution réunit bientôt le lieu-pouvoir (le Comité central) et le pouvoir-image (la télévision). Scène stupéfiante lorsque le car-régie arrive triomphalement sur la place du Comité central et qu’un haut-parleur crache : « laissez passer la télévision ». Une haie d’honneur se forme. Peu après, le Premier ministre doit annoncer une seconde fois la démission de son gouvernement à la tribune, la première prise n’ayant pas été captée en raison d’un problème technique : l’événement n’est donc pas advenu. Autant de cas exemplaires de la distinction entre « Le film était possible parce qu’il y avait l’histoire » et « Si le film est possible, alors l’histoire est également possible ».
Histoire-images : les voir, les regarder, en douter
Chacun à leur façon, ces trois films interrogent le cours de l’histoire. Notamment l’articulation entre trois temps qui parcourent l’ensemble : temps du réel, celui de l’histoire et temps de l’image. Trois temps liés, mais non synchronisés. Son titre le formule, Out of the Present se déroule dans un autre temps, celui de l’espace, un endroit où la station Mir accomplit un tour – une révolution – complet de la Terre en 92 minutes (précisément la durée du film). Krikalev et ceux qui se succèdent dans la station à ses côtés durant ces dix mois d’expédition se trouvent dans cette singulière béance. Avec un dispositif prémédité pour l’image (embarquement de caméras vidéo et celle 35mm), le spationaute vit et voit l’histoire du point de vue de l’omniscience divine. Point de vue trop large, trop lointain, les hommes s’avèrent trop petits pour que le cosmonaute puisse observer leurs soubresauts. D’où ces formes abstraites, comme celles du dessin d’un littoral prenant la forme d’un étrange visage, ou la poésie de ce cratère neigeux, dont un puissant zoom s’approche, sans évidemment l’atteindre.
Pendant que Krikalev expérimente le temps là-haut, on fait en bas l’expérience d’une histoire dont des images vidéo amateurs rendent compte. Une certaine hébétude préside à cette omniprésence de chars dans les rues de Moscou. Puis l’opacité nocturne de ces images neigeuses, ambiguës, teintées d’une inquiétante étrangeté. Out of the Present instaure ainsi une fascinante dichotomie entre espace et plancher des vaches, entre expérience poético-philosophique d’une donnée par définition abstraite – le temps – et confusion du moment où ce qui intervient dans le réel se concrétise en événement historique. Dans ce flottement singulier, la fiction se glisse, évidemment. Le temps d’un film, de son déroulement, de sa projection, le couple histoire/fiction n’existe-t-il pas davantage que celui constitué par histoire/réalité ? Ainsi, logiquement, des citations fictionnelles s’intègrent : valse de Strauss pour 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, mais aussi, et surtout, un plan issu de Solaris d’Andreï Tarkovski. La caméra part d’une maison isolée – celle du personnage principal du film, Kelvin, sur Terre – avant d’être aspirée par un mouvement ascendant. Se dessine alors l’étrange surface aqueuse de cette planète Solaris qui dispose du pouvoir de redonner forme aux désirs les plus enfouis de ceux qui entrent dans son orbite. Écho à l’URSS perdue de Krikalev, ou à la Russie qu’il finit par retrouver après dix mois en apesanteur ? De sa position omnisciente, le cosmonaute exilé aurait-il commandé aux destinées du monde ? Exilé à Turin, en préparation de Nostalghia (1983), Andreï Tarkovski inscrit dans son Journal la citation d’un certain Korsakov, parue en 1974 dans un samizdat : « L’on ne peut vivre dans ce pays ; l’on ne peut faire son salut qu’ici…» Odyssée historique et spatiale baignant dans une apesanteur historique, Out of the Present s’avère aussi un drame tourmenté par une âme bien russe, encore plus précisément tarkovskienne.
On l’a déjà mentionné, l’évocation visuelle de la tentative de coup d’État de l’été 1991 s’avère chargée d’une profonde opacité. D’en haut, du point de vue de Krikalev, l’image n’est que doute, l’histoire sur Terre imaginée, éventuellement désirée. Les images d’en bas, en tant que captation du réel, obéissent logiquement à une toute autre valeur, mais on a vu qu’il en est autrement. Voit-on mieux l’histoire ici-bas ? Ces trois films ont ceci de commun de formuler l’adage suivant : l’image, c’est le doute. Notamment parce qu’au terme de Out of the Present, lorsque Krikalev remet les pieds sur Terre, le régime politique a changé, mais le régime d’image reste le même. Contrairement à Videogramme einer Revolution où s’intercale un régime révolutionnaire, encadré par deux dispositifs autoritaires. Dans le commentaire redoutablement ambiguë, Ujică et Farocki introduisent une autre forme d’incertitude, celle qui réside dans le couple unissant l’image et le dit sur elle, sa légende. À plusieurs reprises, on ne voit pas ce qui est formulé par le commentaire. Particulièrement lorsque la voix-off explique qu’un zoom permet d’identifier le couple Ceauşescu s’enfuyant en hélicoptère depuis le toit du bâtiment ; cela ne se vérifie absolument pas, le dit n’est pas vu. On ne perçoit qu’un amas visuel grossièrement pixellisé. Passablement retorse, cette séquence s’apparente à un appel au fait d’exercer son droit de regard – comme le fait Ujică dans chacun des films – sur les images, à ne pas les croire, pas plus ce qu’une instance autoritaire peut formuler comme signifiants sur elles. À ce titre, un système d’écho se déploie avec le reportage mettant en scène la capture, la visite médicale, le procès et l’exécution des Ceauşescu. Pas de son in sur ces plans, juste un commentaire off du journaliste en plateau : les mots existent, pas l’image, le textuel annihile le visuel.
Renoncement à la passivité, mise en activité du regard, c’est aussi ce à quoi convie L’Autobiographie de Nicolas Ceauşescu. Le pacte noué entre film et spectateur diffère toutefois de Videogramme einer Revolution où images et commentaires ne semblent vouloir – faussement – que du bien au spectateur. Contrairement à ce dernier, L’Autobiographie de Nicolae Ceauşescu donne accès au son in des images du procès : voix de l’accusation venant du hors champ et défense crâne du couple déchu. Pour le reste, le dernier film d’Ujică n’est composé que d’images de propagande, images du « mal ». Prévenu, le spectateur se met automatiquement en activité face à elle, avec le devoir de déceler les rouages de la manipulation.
L’ambiguïté se situe ailleurs, notamment dans l’expérience du temps, laquelle permet de nouer une intimité avec ce personnage d’extraction modeste, travailleur laborieux (et piètre orateur) semble-t-il dévoué à la cause de son pays. S’en tenant à l’absence de commentaire, la figure monstrueuse du mal qu’a fini par incarner Ceauşescu ne se trouve pas véritablement formulée, bien qu’elle soit contenue par l’image. Tout juste est-on interloqué par une scène de chasse à l’ours particulièrement cruelle ou placé face à la mégalomanie de ces ubuesques travaux. Dans le cadre de cette expérience temporelle (durée du film et partage d’une intimité avec le personnage), L’Autobiographie de Nicolae Ceauşescu émet, en filigrane, la question de d’identification du spectateur. Par exemple, l’hypothétique partage d’une fascination presque enfantine pour les ahurissantes parades dans ces rues ou ce stade coloré de Corée du Nord. Rester actif, ne pas baisser la garde face aux images, être non méfiant, mais vigilant. Concernant cette question de l’identification, Videogramme einer Revolution propose une troublante mise en abyme lorsque que des journalistes regardent un poste de télévision retransmettant le reportage du jugement expéditif à l’encontre du couple Ceauşescu.
Videogramme einer Revolution : photogramme issu du reportage mettant en scène le procès et l’exécution de Ceaucescu
Un applaudissement fuse, semble en entraîner quelques autres, hésitants et malaisés. Plus que face à un procédé d’identification, on se trouve alors devant un problème d’identification, en forme de dilemme. Applaudir de façon pavlovienne une exécution ou mettre fin à l’image pour tenter d’inaugurer une pensée ? C’est ce que semble faire l’un des membres de l’assistance après la séquence, en coupant le contact. Être libre devant les images, c’est douter face à elles, y compris de son point de vue de spectateur, de son propre regard. Programme aussi exigeant que salutaire.