À l’occasion de cette nouvelle édition de Cinéma du Réel, Critikat a donc le plaisir d’organiser et animer une table ronde. Nous vous invitons cordialement à venir entendre Luc Moullet, Mariana Otero, Claire Simon et Mehran Tamadon autour de cet intitulé : « Sur les pistes du documentaire ». Nous proposons ici un texte pour présenter les problématiques que nous souhaitons explorer avec eux.
L’idée de cette table ronde émane d’un regard sur les différentes sélections de l’édition 2010. Dans notre compte-rendu, nous écrivions alors : « Se définir par rapport au réel est la charge du cinéma dit documentaire, qui ne peut s’accepter que comme une médiation, un regard, une réécriture du réel. On sait que Javier Packer-Comyn tient la frontière documentaire-fiction pour une vieille lune dépassée. Cette porosité a pris une dimension spectaculaire cette année. Le panel assez large des trois sélections permet un questionnement sur cette relation du documentaire avec le réel, qui est aussi une manière pour le cinéma d’être au monde, d’y prendre part. »
La variété du geste était en effet pour le moins frappante, et l’on pouvait pointer certaines contradictions. D’une part, le dynamisme d’une expression proposant un large éventail de gestes : s’approcher au plus près de ce que l’on considèrera comme la réalité ou, à l’opposé, de privilégier un certain retrait vis-à-vis d’elle, notamment une distanciation réflexive très prononcée, aboutissant à un réel imaginé plus qu’approché. D’autre part, il est possible de considérer cette même variété comme une difficulté à définir aujourd’hui la pratique documentaire, dans laquelle on note, de la part des cinéastes, des formes d’hésitation face à leur objet. À tel point qu’on peut se demander si le documentaire s’avère une écriture du réel, ou bien de son opacité.
La première piste nous conduisait assez naturellement vers la question de l’hybridation entre les territoires documentaires et fictionnels, à partir de laquelle aurait pu être interrogée la notion de réel, ce « graal » si insaisissable, qui, s’il n’existe peut-être pas, mérite d’être poursuivi. Un risque à ce stade : tourner en rond. Même écueil à vouloir tenter une énième définition du documentaire.
Partant de ces problématiques, on a pu vite constater qu’elles s’avèrent pour la plupart à peu près aussi anciennes que le 7e art. D’où l’idée de les reposer et réactualiser en traçant une trajectoire, en opérant un cheminement à travers le processus de création en compagnie de cinéastes, de l’amont vers l’aval des films. Ceci nous a semblé un terrain fertile pour se mettre « Sur les pistes du documentaire » : au passé, au présent, et, pourquoi pas, au futur. Débattre de la nouveauté ou du déplacement des enjeux liés aux choix que le geste implique : le devenir-film d’un « projet », les relations entre temporalité(s) cinématographique(s) et celle(s) du réel, ces êtres du réel devenant personnages de cinéma, ainsi que les questions de la (re)formulation (montage, narration) et du spectateur.
En dehors du fait que l’on apprécie beaucoup leur travail, nous avons – avec Luc Moullet, Mariana Otero, Claire Simon et Mehran Tamadon – réuni des cinéastes qui présentent à nos yeux beaucoup d’intérêt. Notamment une variété générationnelle, Luc Moullet a réalisé son premier (déjà très singulier) documentaire, Terres noires, en 1961, alors que Mehran Tamadon représente un jeune cinéaste, dont Bassidji (2009) est le premier film. Pluralité des gestes et des tons également, entre les uns et les autres, entre et à l’intérieur même de leurs films : patients, comiques, délicats, rageurs, observateurs, engagés, distanciés, interventionnistes… Aussi, ces cinéastes n’hésitent pas à naviguer entre les territoires fictionnels et documentaires, Luc Moullet et Claire Simon évidemment, mais aussi Mariana Otero « offrant » un moment de comédie musicale à ses protagonistes à la fin de son dernier film, Entre nos mains (2010). Parions que ces quatre cinéastes auront de nombreuses « pistes du documentaire » à nous faire partager.
Nous aurions pu commencer par là, mais, pour finir, nous tenons à remercier sincèrement et chaleureusement Javier Packer-Comyn et l’ensemble de l’équipe de Cinéma du Réel, où la porte et les oreilles sont toujours ouvertes aux échanges et propositions.