Après 12h08 à l’est de Bucarest, récompensé par la Caméra d’or à Cannes en 2006, le cinéaste roumain Corneliu Porumboiu confirme son talent avec le polar minimaliste Policier, adjectif, entièrement fondé sur les ressentis et les interrogations de son personnage principal : un policier qui a perdu foi en la loi. Son film, comme ceux de la nouvelle génération de cinéastes roumains, délivre un message pertinent sur sa société, gangrenée par une apathie mortifère. Le réalisateur revient sur ses méthodes de travail et sur sa conception de la mise en scène.
Comment décririez-vous ce que certains appellent la Nouvelle Vague ou nouvelle génération roumaine ? Ce terme de Nouvelle Vague vous semble-t-il juste ?
Il n’y a pas de vague au sens d’un manifeste. Il s’agit plutôt de jeunes cinéastes qui en sont à leurs premiers films et qui cherchent chacun leur propre voie dans le cinéma.
Comment vivez-vous cet intérêt pour cette nouvelle génération ?
Quand j’étais étudiant, je ne pensais pas que mes films seraient distribués dans plus de vingt pays. Je ne savais même pas si j’allais faire un film un jour. L’intérêt manifesté pour mes œuvres me rend heureux.
Dans votre film, il y a une fausse distanciation, puisque vous nous projetez au plus près des émotions et des interrogations de Cristi. On semble être, au départ, observateur lointain de ses actes, mais on se trouve en réalité au plus près de ses ressentis.
Policier, adjectif est un film qui parle de sens. Je ne me suis pas intéressé aux causes de l’enquête. Je crois que l’esprit de l’histoire provient de la façon dont elle est filmée. Si le spectateur accepte cette idée, je lui propose des éléments pour qu’il puisse s’identifier à Cristi.
Vous utilisez des références à la loi, à son caractère parfois immuable, inscrit dans la pierre, comme les mots d’un dictionnaire daté. Cela semble être une métaphore de l’état de votre pays, qui semble refuser d’évoluer.
Je pense qu’aujourd’hui, il y a un vide conceptuel en Roumanie. Mes personnages doivent utiliser un dictionnaire pour pouvoir communiquer. C’est absurde. Mon pays est dans une phase de transition qui dure depuis vingt ans et qui semble ne jamais finir.
Votre film joue ainsi sur les mots, leur sens, mais aussi sur le langage cinématographique même.
Policier, adjectif se réfère au genre. Dans un film policier classique, le montage est fondé sur l’action et le spectateur est impliqué dans la résolution d’une enquête. J’ai préféré conceptualiser l’attente et non l’action.
J’ai l’impression que vous souhaitez effectuer une sorte de relecture
du langage inventé par Antonioni, Bresson et d’autres cinéastes modernes tout en trouvant un style très original fondé sur un art de l’absurde.
Les films que l’on aime nous influencent et parmi mes auteurs préférés, il y a aussi Antonioni et Bresson. Je ne sais pas si je peux dire que j’ai un style personnel car j’en suis seulement à mon deuxième long-métrage. Mais à chaque fois que je fais un film, je pense qu’il doit délivrer « une opinion sur le monde et une opinion sur le cinéma ».
L’incommunicabilité, la difficile cohabitation des corps et des paroles est aussi un thème fort de votre film. Je pense à la séquence entre Cristi et sa femme, chacun dans une pièce distincte, puis se rejoignant et parlant du sens des paroles d’une chanson populaire.
Je prête une grande attention au langage corporel. Il peut exprimer beaucoup de choses. Dans la plupart des films actuels, les personnages sont caractérisés uniquement par le dialogue, ce qui les empêche de trouver une façon d’être au monde. Dans les séquences de filature ou dans celles d’attente, je me suis intéressé au comportement de mon personnage. Lorsqu’il devient chasseur, lors des filatures, il le fait naturellement et il apprécie cela.
La filature que mène Cristi est un véritable cheminement intérieur, quelque chose de quasi métaphysique, malgré l’apparente simplicité de votre mise en scène. Comment avez-vous réfléchi cela ?
J’ai fait trois brouillons avant d’écrire le scénario final. Dans le premier, il s’agissait d’un film policier classique dans lequel l’action était la plus importante. Après une période de recherche, j’ai découvert qu’un policier, comme Cristi, passait beaucoup de temps à poursuivre et à attendre. J’ai alors repris dans la structure de Policier, adjectif un certain « temps réel » qui correspondait bien au thème du film, celui d’un jeune homme qui part à la recherche de réponses à ses interrogations dans une sorte de labyrinthe urbain.
Ce qui est intéressant dans votre film, c’est que vous filmez des personnages ordinaires. Cela nous plonge davantage dans le réel, dans la réalité de l’univers décrit.
Mes films sont inspirés par des personnages réels. J’accorde une grande importance à la documentation. Cela m’aide beaucoup quand je définis les personnages principaux, surtout pour décrire leurs façons d’être et leurs comportements.
Comment avez-vous fait le choix de vos acteurs ?
Parfois, j’écris un scénario en ayant déjà l’idée d’un acteur. Dans Policier, adjectif, je savais que Dragoș Bucur serait Cristi. Pour la plupart des autres personnages, j’ai effectué un casting.
Quels sont vos projets, vos idées de films à venir ?
J’ai commencé à travailler un nouveau scénario, mais j’en suis seulement au début. Comme je suis superstitieux, je ne vous parlerai pas de son sujet.
Souhaitez-vous, dans le futur, développer vos thèmes en dehors de la Roumanie ?
Je n’ai aucun projet qui pourrait être produit à l’étranger. Parfois, j’ai l’envie de travailler dans un autre pays, mais je ne peux pas vous dire maintenant quand cela pourra aboutir.