Porumboiu, trois ans après sa sympathique Caméra d’or, revient sur la Croisette dans une forme olympique. 12h08 à l’est de Bucarest, armé de son seul humour vachard, avait occupé, à sa sortie, une place mineure dans le jeune cinéma roumain, n’ayant pour son compte ni l’ampleur de La Mort de Dante Lazarescu, ni la force de frappe de 4 mois, 3 semaines, 2 jours. Pour son retour, le cinéaste lâche toute espèce de gimmick farceur – la fausse forme télévisuelle, dans son précédent opus – et adopte un style rigoureux, rude, aride parfois, mais qui n’a rien perdu de sa désopilante férocité. Poliţist, Adjectiv se présente comme une marche musicale, en deux temps bien distincts. Premier temps : le silence. On y suit en longs plans-séquence la filature d’un flic qui enquête sur un inoffensif et dérisoire trafic d’herbe entre lycéens (en Roumanie, ce délit est passible de huit ans de prison). Second temps : la parole. On y découvre les rapports du policier avec son entourage, femme, collègues et supérieurs, dans le cadre de dialogues homériques où il est avant tout question de « définitions ». Cette binarité de structure sert à mesurer le gouffre qui s’est installé, au sein du système administratif roumain, entre théorie et pratique, législatif et exécutif, le texte et son interprétation, l’ordre et l’acte. La communication est rompue : personne ne partage plus le même langage, le moindre échange porte sur le sens des mots et ne conduit qu’à une plus profonde confusion. Le pouvoir exécutif apparaît alors comme une machine qui fonctionne en roue libre, par et pour elle-même, contraignant la liberté du langage à son seul souci d’autoconservation. La langue roumaine – il est toujours surprenant d’entendre au son sa « latinité » – est assaillie, vidée de son contenu, réduite à l’état de code absurde et pliable à merci. Lors d’une dernière séquence formidable, l’usage du dictionnaire ne convainc plus personne, ne conduisant qu’à un triste juste milieu, un consensus mou. Un très bon film, qu’il serait judicieux de distribuer au plus tôt.