Pour sa onzième édition, du 29 mars au 17 avril, en Seine-Saint-Denis et à Paris, le Panorama des Cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient poursuit la belle dynamique d’ouverture qu’on lui connaît. Deux grandes lignes directrices traversent son programme : un focus sur la Palestine et la traditionnelle « actualité des cinématographies du Maghreb et du Moyen Orient ». Le festival propose tant des récits de facture classique que des formes intrigantes, hybrides ou radicales, et permet tant de voir ou revoir des films grand public (Nous trois ou rien, Je suis à vous tout de suite), ou du moins bien diffusés lors de leur sortie salle (Peur de rien, À peine j’ouvre les yeux), que de découvrir de vraies raretés (par exemple Conte des trois diamants, de Michel Khleifi). Au gré d’avant premières (Good Luck Algeria, de Farid Bentoumi, Dégradé, de Tarzan et Arab Nasser), de projections de films de patrimoine (Close Up) et d’inédits, Liban, Syrie, Palestine, Yémen, Égypte, Maroc, Algérie, Tunisie, sont explorés dans des fictions, documentaires et courts métrages, par des auteurs qui y habitent ou y retournent. Un programme particulièrement riche s’adresse au jeune public : projections pour tout petits (Adama), ateliers ciné philo, programme de courts métrages « enfance et école », rencontres pour collégiens et lycéens autour de documentaires… Le festival propose aussi des concerts, un brunch littéraire (autour de À l’est de Damas, au bout du monde, témoignage d’un jeune révolutionnaire syrien), une master-class (sur le thème « comment filmer l’intime ? ») et une lecture de Genêt à Chatila au théâtre Gérard Philipe de Saint Denis.
Difficultés et douleurs des Palestiniens en Palestine sont mises en lumière de diverses façons. Avec Mon amour m’attend près de la mer, Maïs Darwazah, palestinienne se rendant pour la première fois dans son pays d’origine, donne forme à un essai très personnel. Il mêle images poétiques, réflexions intimes et recours à la fable, à une approche plus brute de la réalité via des portraits très touchants d’autochtones. La cinéaste leur laisse le temps d’exprimer leurs frustrations, leurs colères, leurs désirs de vivre une vie toute simple et ordinaire. Formellement plus modeste, Hope in the Bottle, de Haicha Ladrouz, emprunte, lui, la forme du road-movie (le film suit le parcours d’une bouteille d’huile d’olive en Cisjordanie, de la cueillette à la vente) pour donner la parole à des travailleurs évoquant leurs difficultés à mener à bien leurs missions en terre occupée. En 1987, à Beit Sahour en Cisjordanie, pour résister à l’obligation qui leur est faite de dépendre de l’achat de produits israéliens, un groupe d’activistes palestiniens met en place une coopérative laitière. Considérée par les autorités israéliennes comme un danger pour la sécurité nationale, elle donne lieu à une chasse aux vaches. C’est cette histoire vraie, dite « du lait de l’Intifada », que Les 18 Fugitives (d’Amer Shomali et Paul Cowan) raconte. La parole est donnée aux animaux pourchassés, personnifiés en animation stop motion, et aux acteurs de l’époque, dans des entretiens face caméra ponctués d’images d’archives. Il en résulte un film étonnant, ludique, cocasse et grave à la fois. Dans This Is My Land (présenté ici en « regard croisé » avec Rachel, de Simone Bitton), de Tamara Erde, ce sont des professeurs et de jeunes élèves palestiniens qui disent leur sentiment d’injustice, leur colère, leur envie de liberté. Mais la réalisatrice explore aussi l’autre côté, en Israël, où elle a grandi avant de partir vivre en France. Remettant en cause l’éducation qu’elle a reçue, elle interroge la façon dont l’histoire nationale est enseignée de part et d’autre. Haine de l’autre, peur de l’autre, c’est toute la complexité du conflit qui, devant les propos des enfants, nous est donnée à ressentir.
La réalité palestinienne en exil est aussi explorée. Dans Chacun sa Palestine, Nadine Naous et Léna Rouxel s’intéressent à de jeunes palestiniens réfugiés dans le camp libanais de Baddawi et qui ne sont jamais allés dans leur pays d’origine. Elles captent les discussions dont elles sont les témoins ou provoquent la parole en posant des questions et en mettant en scène les personnages (dans un studio photographique devant des images de Paris, New York, Jérusalem, Beyrouth). Ce faisant, c’est le lien complexe que ces jeunes entretiennent avec leur pays d’origine, ainsi que leurs aspirations, qu’elles interrogent. Les aspirations de la jeunesse palestinienne en exil étaient aussi centrales dans Les Chebabs de Yarmouk, d’Axel Salvatori-Sinz, présenté en 2014 au Panorama. Situé dans le camp syrien de Yarmouk, le documentaire faisait le portrait d’un groupe de jeunes gens. Parmi eux était Tasneem, que nous retrouvons ici dans Moi, je suis avec la mariée, d’Antonio Augugliaro, Gabriele Del Grande et Khaled Soliman al-Nassiry. Quelques années ont passé, la Syrie est en guerre et le camp de Yarmouk dévasté. Tasneem, qui possède pourtant un passeport allemand, a mis du temps à le quitter, « parce que les combattants ne se battent pas pour des maisons vides », explique t‑elle ici. Comme d’autres, Syriens et Palestiniens, depuis Milan elle tente maintenant de rejoindre la Suède. C’est ce périple que suivent et orchestrent les réalisateurs. Pensant se donner davantage de chances de franchir les frontières, ils font se déguiser le groupe de migrants en cortège nuptial. On retiendra moins de ce film le stratagème et ses enjeux que certains moments bouleversants : des récits de l’horreur, des larmes qui coulent sur un visage silencieux, le rap d’un enfant disant sa détermination d’atteindre un jour une vie meilleure. Il n’est pas si fréquent de retrouver un personnage d’un documentaire à un autre. Ici en l’occurrence, on est émus de suivre la trajectoire de Tasneem, fausse mariée pleine de douleur. Nous laissons le groupe arriver en Suède avec cette question qui reste ouverte : comment parviendront-ils à trouver leur place dans ce pays d’accueil ?
La question de l’intégration traverse d’autres films du Panorama : Amerrika, de Cherien Dabis, histoire d’une femme d’âge mûr quittant la Palestine avec son fils pour aller s’installer aux États-Unis, Le Sel de la mer, d’Annemarie Jacir, racontant le trajet inverse, celui d’une jeune palestinienne grandie à Brooklyn et qui revient s’installer dans son pays d’origine, Peur de rien, de Danielle Arbid, portrait d’une jeune Libanaise débarquant à Paris…
Les femmes sont très présentes dans la sélection, en tant que cinéastes et que sujets des films. Leurs combats, en tant que femmes, sont par exemple récurrents. À peine j’ouvre les yeux, de la jeune Tunisienne Leyla Bouzid, décrit les obstacles auxquels est confrontée, sous Ben Ali, une jeune fille de 18 ans chanteuse de rock et avide de liberté. No Land’s Song, documentaire iranien d’Ayat Najafi, chronique la tentative de mise en place d’un concert de chanteuses iraniennes bravant l’interdiction qui leur est faite de chanter seules devant des hommes. Classique sur le plan formel, le film peut tant séduire par son énergie et la place belle qu’il fait à la musique, qu’agacer par son côté un peu trop accrocheur et parfois un peu trop attendu. Nojoom, film yéménite en partie autobiographique de Khadija al-Salami, raconte l’histoire d’une fillette mariée de force à huit ans qui demande le divorce. Sans surprise et présentant les faiblesses inhérentes au « film plaidoyer », il parvient intelligemment à faire basculer notre regard sur les personnages et ainsi nous faire prendre acte de la complexe relativité des points de vue.
Dans la section « actualité des cinématographies du Maghreb et du Moyen Orient », deux films ont particulièrement retenu notre intérêt : Dans ma tête un rond-point, documentaire algérien de Hassen Ferhani dont nous publierons prochainement les propos, et Trève, de Myriam el-Hajj. Dans ce film, la cinéaste, Libanaise vivant en France, s’intéresse à son oncle, tenancier d’une boutique pour chasseurs à Beyrouth, et à ses camarades. Anciens phalangistes (membres de la milice libanaise chrétienne) qui, cas rare semble-t-il au Liban, parlent volontiers de la guerre, ils ne voient pas le monde de la même façon que la cinéaste, se définissant elle-même comme une « pro-palestinienne de gauche ». En les interrogeant, contredisant, appuyant à certains endroits délicats, par sa démarche elle interroge la possibilité du dialogue entre eux. Dans des cadres soignés, le film alterne avec fluidité des scènes d’intérieur, dans la petite boutique, au plus proche des personnages sur les visages desquels la caméra s’attarde, et des scènes de chasse au grand air, où ils sont filmés de plus loin, où ils respirent un peu sans elle. Les longs plans fixes laissent se déployer les êtres et leurs discours qui bien souvent percutent. On aime dans ce film les contrastes et les ponts qui sont dressés entre eux, la bonhomie des vieux et la violence de leurs propos, leur bienveillance envers la cinéaste et l’abîme qui les sépare d’elle. C’est de façon ténue et subtilement que le film rend compte de ces complexes oscillations.
Les massacres de Sabra et Chatila en 1982, pour l’oncle de Myriam el-Hajj, est un événement auquel il regrette de ne pas avoir pu prendre part. Pour Jean Genêt, qui fut l’un des premiers à découvrir les camps après le drame, c’est une rencontre traumatisante. Au théâtre Gérard Philipe de Saint Denis, Leila Shahid, ancienne ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, et Jérôme Hankins, metteur en scène, liront des extraits du recueil Genêt à Chatila, qui recense l’importance de l’expérience palestinienne dans la dernière période créatrice de l’écrivain.
Retrouvez l’ensemble de la programmation du Panorama sur le site du Festival ici.