Si le premier long-métrage de Tina Satter s’empare d’un scandale encore brûlant (les soupçons d’ingérence russe lors de l’élection de Donald Trump en 2016), son angle d’attaque est modeste : l’affaire Reality Winner, du nom d’une ancienne employée des services secrets états-uniens, responsable de la fuite de documents classifiés que publiera le journal The Intercept. Mais au-delà de sa visée politique, le film s’attache surtout, comme l’indique un peu naïvement le titre jouant sur l’improbable prénom de la protagoniste, à interroger les frontières entre fiction et documentaire. Dès le début, un encart annonce que le film mettra rigoureusement en images le verbatim officiel de l’entretien entre Reality Winner (Sydney Sweeney) et les deux agents du FBI (Josh Hamilton et Marchant Davis) venus l’interroger chez elle. Le film continuera ensuite de marteler ses intentions avec une certaine lourdeur : à intervalles réguliers, plusieurs archives (sonores ou visuelles) viennent étayer la profession de foi inaugurale, donnant un côté parfois trop scolaire à l’ensemble. À l’exception du prologue et de l’épilogue, le récit adopte une construction compacte pour se tenir au plus près des faits : unité d’action (la discussion avec les agents), de temps (un après-midi) et de lieu (le domicile de Reality Winner). Cette logique de resserrement commande toute l’écriture. La quasi-totalité des plans s’applique dès lors à capter les interactions entre Reality et les agents, pour ressaisir la manière dont la pression discrètement exercée par ces derniers se traduit sur le visage et le corps de la jeune femme, faisant affleurer peu-à-peu la vérité.
La fidélité au verbatim conduit Tina Satter à figurer des éléments souvent délaissés par les films d’investigation. Toute l’étonnante première moitié, qui prend place dans le jardin de Reality, documente patiemment le small talk laborieux qui vise à créer un climat de confiance, propice à la libération de la parole. Reality bascule toutefois vers une seconde partie plus classiquement policière au gré d’une rupture dans la mise en scène : une fois les personnages entrés dans la maison, l’interrogatoire se déroule désormais à huis clos, dans une étrange pièce complètement vide. Si le film entre alors de plain-pied dans son sujet, il devient paradoxalement un peu plus banal, d’autant que la cinéaste semble faire progressivement moins confiance à son dispositif : elle illustre à plusieurs reprises les aveux lentement extorqués à Reality par des flashbacks décoratifs, brisant l’unité de temps. À cet endroit, Tina Satter emprunte un peu plus aux codes du film-dossier pédagogique qu’elle parvenait jusqu’ici à esquiver. Cette deuxième partie moins convaincante donne néanmoins à Sydney Sweeney, révélée par la série Euphoria, l’occasion de déployer son jeu protéiforme, passant de la naïveté feinte à une angoisse toute en retenue.