Dans la première partie de Samsara, un garçon nommé Amid (Amid Keomany) se rend à plusieurs reprises chez Mon (Simone Milavanh), une vieille femme dont la mort approche. Leur relation se résume à une activité : il vient lui lire régulièrement quelques pages d’un livre traitant de la réincarnation – moins parce qu’elle n’arrive plus à le faire elle-même que parce que c’est un livre « fait pour qu’on nous le lise ». Ces lectures semblent apaiser Mon, qui aspire à atteindre une sorte d’état second. Difficile de ne pas voir dans ce rituel une mise en abyme du film lui-même : le premier long-métrage de Lois Patiño partage avec le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul une aspiration profondément médiumnique, en ce qu’il cherche à plonger le spectateur tantôt du côté du rêve, de l’hallucination, ou encore de l’extase mystique. Cette invitation devient explicite lors du basculement vers la seconde partie du film : un carton suggère aux spectateurs de fermer les yeux pour accompagner le passage de Mon à travers le bardo, cet espace interstitiel où, dans le bouddhisme, les âmes séjournent entre deux incarnations. Cette volonté d’agir sur le spectateur n’est toutefois pas une fin en soi : il s’agit de le faire accéder aux liens secrets qui donnent sa consistance au monde visible.
Préparant cette montée en puissance, le film prend d’abord place au Laos où, en parallèle de la relation entre Amid et Mon, Patiño filme dans un style documentaire épuré (ni voix off, ni entretiens) le quotidien d’une communauté de moines bouddhistes que fréquente le garçon. La méthode adoptée pousse jusqu’au bout la logique de l’observation participante, le film épousant leur croyance dans la réincarnation, érigé en principe d’organisation du réel. Ce phénomène apparaît d’abord dans plusieurs plans où, par des surimpressions, Patiño entrelace des personnes en train de dormir, des peintures animalières et des étendues d’eau éclairées par le soleil – comme si le rêve lui-même était déjà une forme de métempsychose, assurant l’équilibre du monde par la circulation des êtres. Cette plongée dans les phénomènes de transmigration prend néanmoins une toute autre ampleur lors de l’exceptionnel intermède qui précède la bascule vers la seconde partie. Pendant une quinzaine de minutes, Samsara propose une figuration abstraite du processus de réincarnation : recourant à des blocs de couleur d’intensité lumineuse variable et à des effets stroboscopiques, il figure une odyssée rayonnante évoquant notamment les comptes rendus de near death experiences.
Au terme de ce passage dans le bardo, le film amorce une nouvelle histoire, qui s’ouvre à Zanzibar avec la naissance de Neema, une petite chèvre. On comprend immédiatement que la réincarnation espérée par Mon a bel et bien eu lieu. Le film retrouve alors sa facture documentaire initiale et décrit le quotidien de la famille où Neema a atterri. Patiño filme cette nouvelle communauté de manière très semblable à celle découverte au Laos : pour ne prendre que deux exemples, on trouve dans chaque partie un long mouvement de caméra horizontal observant tour-à-tour les visages d’une assemblée de jeunes enfants, et un gros plan où une personne en réveille une autre en versant un peu d’eau sur sa main. Si cette homogénéité peut procurer un sentiment de redondance, il faut plutôt y voir un parti pris d’ordre mystique : Patiño fait de la réincarnation le pivot d’une métaphysique égalitaire qui récuse toute hiérarchie entre les sphères du réel.