Aujourd’hui, ça commençait par le «Godard», c’est comme ça qu’on appelle 3x3D, film collectif en relief réalisé par Peter Greenaway, Jean-Luc Godard et Edgar Pêra. Le «Godard» parce qu’on peut éventuellement aimer Greenaway, on peut connaître Edgar Pêra, mais une prise de parole cinématographique de Jean-Luc Godard, ça n’est tout de même pas rien. Et ce sera difficile d’en faire le tour, juste deux ou trois choses, donc, sur 3x3D.
Concernant la contribution de Greenaway, je reprends – avec son autorisation – les termes prononcés par Joachim Lepastier des Cahiers du cinéma à la sortie de la séance : «C’est un peu L’Arche russe de Sokourov plus le Puy du Fou.» On ne peut mieux dire en effet avec ce défilé carnavalesque de personnages en costumes. Greenaway a déjà la main lourde en 2D, et la 3D lui permet d’en rajouter des couches et des couches, ce dont il ne se prive absolument pas, bien au contraire. Expérience assez stupéfiante au réveil. Le seul mérite du Britannique est d’introduire que nos cinéastes ont compris que l’efficacité du relief se jouait dans la fixité ou la lenteur des mouvements de caméra, permettant l’installation du regard dans la « boîte » tridimensionnelle ; il sera aussi largement question de la spatialisation du texte dans la tridimension. Il s’agit aussi d’une histoire de temps pour le spectateur, mais aussi l’occasion de voyager à travers les âges du cinéma et, plus largement, de déambuler dans l’histoire. Edgar Pêra s’en sort mieux dans un court joueur où il est question du dispositif spectatoriel dans la salle de cinéma, partant de personnages primitifs évoquant la famille Pierrafeu, mais aussi La Grotte des rêves perdus de Werner Herzog ; c’est dans des cavernes sombres où l’on a pour la première fois projeté des images. Une traversée des âges référencées (L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat des frères Lumière, Le Vol du Grand Rapid d’Edwin S. Porter, Le Chanteur de jazz d’Alan Crosland, etc.) balade des spectateurs assis, avec des jeux de cadres, d’écrans et d’adresses (à eux, à nous). Il est question de spectateur-croyant, de spectateur-étonné, mais aussi de spectateur émancipé, reprenant le titre d’un ouvrage de Jacques Rancière. In fine, Edgar Pêra rêve un spect-actor, dans un sympathique jeu de mots.
Mais bon, il s’agissait du «Godard», dans son rôle d’oracle méditant sur l’image dans un entrelacs sonore, musical, visuel et vocal (la voix du cinéaste lui-même que l’on n’entendait pas dans Film Socialisme) très proche des Histoire(s) du cinéma, sous le titre Les Dés-3-astres, que l’on peut voir comme un avant-goût d’Adieu au langage – prévu pour 2014, dont on voit certainement des plans, notamment de ce chien, qui, dit-on, y tiendra un rôle important. Godard est le seul à ne pas tout axer sur la tridimension, il la fait intervenir entre des images vidéo plates et baveuses, des aplats, ayant parfaitement compris que cette alternance permet de donner du relief à la 3D. La plus admirable trouvaille dans l’usage du relief tient au passage de la surimpression type Histoire(s) du cinéma à la logique de couches s’animant l’une sur l’autre dans la profondeur de champ, ces passages sont d’une stupéfiante beauté. Il est question de dictature numérique, âge de l’immédiateté quand, dit-il, il faudrait une éternité pour faire l’histoire d’une heure. Nul mieux que Godard le dit (dans le dossier de presse) : «Si la perspective est le péché originel de la peinture occidentale, la technique était son fossoyeur. La conquête de l’espace a fait perdre la mémoire à tous.» La mélancolie est prégnante, et Godard parle très personnellement de lui – «le petit garçon que je fus» –, d’une innocence perdue. À la sienne se raccorde celle du monde dans un rapport tragique à l’Histoire et de ses images réminiscentes, telles la photographie emblématique de l’enfant du ghetto de Varsovie tenu en joue. Ressurgissent les enfants de Film Socialisme mais aussi ceux de France, tour, détour dont il utilise plusieurs extraits. Le deuil godardien s’accompagne encore de l’espoir d’un à-venir, où l’on remettrait à plat d’essentielles questions prononcées par la voix tremblante du cinéaste : «Qu’est-ce que l’homme ? Qu’est-ce qu’une cité ? Qu’est-ce que la guerre ?»