Quand on désirait encore, il y a peu, défendre l’honneur décati du relief numérique, l’argument de l’arrivée imminente des derniers Wenders et Herzog sur nos écrans était implacable. Enfin, on allait découvrir ce que la 3D peut offrir quand elle est prise en main par des créateurs, délaissant pour de bon les tâcherons du Voyage au centre de la Terre ou du Choc des Titans. L’équation est sans doute plus complexe.
Pina de Wim Wenders a déniaisé le procédé du relief. C’est en tout cas l’avis de ceux qui, drapés de leur bonne conscience cinéphile, éludent un peu trop vite les quelques réussites du genre, Dragons, Là-haut et même Sexy Dance 3D. Pina fait valoir son érudition par intermittences, par quelques envolées chorégraphiques, assez loin finalement de l’utilisation constante et pertinente chez Jon Chu. Werner Herzog s’aventure lui aussi sur le terrain du documentaire pour apprivoiser le relief. On voit avec ces films se dessiner une géographie du relief, cantonnée aux documentaires, chorégraphies et films d’animation. Est-ce à dire que le procédé y est ontologiquement lié ou que les réflexes de la stéréographie renaissante incitent à favoriser le réel ou la tablette graphique numérisée ? La question est en suspens, tant on attend désespérément un exemple réussi de prises de vue réelles non chorégraphiées.
La Grotte des rêves perdus se propose en tout cas de recréer via la stéréoscopie un facteur tout simple, très surfait, très imparfait : la vie. La grotte de Chauvet en Ardèche renferme des peintures pariétales datant de l’ère paléolithique supérieure (30 000 av. J.-C.) dont très peu d’homo sapiens ont été témoins, le plafond s’étant en partie écroulé sur l’entrée. Soustrait à l’œil de l’homme lambda (comprendre hors scientifiques et députés en goguette), la grotte cachait ses mystères. Herzog a obtenu une autorisation de filmer en réinvestissant les lieux durant quelques heures, le temps d’instaurer une nouvelle présence humaine, différente de celle d’il y a 32 000 ans, et qui aurait troqué arme en silex et pioche en pierre pour des caméras numériques. Assez fascinant est le pont qui se crée naturellement entre les deux époques avec ces créatures le nez en l’air, toutes absorbées par les inscriptions aux parois, les unes y voyaient sans doute un bon présage pour la chasse, les autres y décelant une poésie insondable. Dans la vision d’Herzog, le relief doit permettre au spectateur de naviguer dans un espace clos et interdit, de rendre une présence à ces peintures par un regard distant.
Jean Baudrillard décrivait l’hyperréalité comme un univers où le réel s’efface derrière ses propres signes, ces derniers étant médiatisés par les technologies et le système d’information modernes. C’est sans doute cet effet hyperréel qui corrompt le projet, l’ambition première de réalisme s’estompant derrière celle de l’artificialité, à l’image des grottes factices construites près de Lascaux et Chauvet pour accueillir le public en sécurité. Le relief ne permet pas d’aborder mieux le réel, il le façonne et l’altère. Ce qui n’est pas en soi un obstacle, l’imaginaire se nourrit de la détérioration du réel. Un film vécu comme un songe à travers les cavités, un vagabondage parmi les aurochs recèle beaucoup de promesses. C’est à vrai dire ce que l’on attendait du film, qu’il vagabonde, flâne, contemple… mais surtout qu’il soit libre de toute pesanteur (physique et didactique) pour réussir à titiller l’imaginaire. C’était la mission allouée au relief par beaucoup et peut-être pas, malheureusement, par Herzog. D’où un grand malentendu et des espoirs déçus. Herzog convoque moult archéologues, paléontologues, scientifiques de tout poil pour commenter chaque pas traîné dans la poussière de la grotte. En allouant au discours scientifique une place si importante, il réprime la capacité pourtant formidable du film à s’extraire du réel. De l’enthousiasme d’une expérience nouvelle, le discours rationnel fait fi et installe confortablement le film dans un ronron lénifiant. Grand paradoxe, finalement, que celui d’un relief qui rend possible l’émerveillement, la légèreté, et d’un cinéaste qui s’escrime à toujours ramener son film à terre, à le contraindre au raisonnable, au prudent.