Dimanche à Cannes, pas de repos pour les braves : c’est rattrapage, avec la reprise des films de la compétition. Direction les frères Coen, dont la présentation le week-end dernier semble déjà appartenir à une époque lointaine – comme on dit ici : beaucoup d’eau est depuis tombée sur la Croisette. J’en ai globalement entendu le plus grand bien d’Inside Llewyn Davis, mais je me méfie un peu tant, sur le papier, le portrait d’un musicien folk en galère semble appartenir à la très fournie galerie des personnages médiocres qui peuplent leur cinéma trop souvent nonchalant et ricanant. Le personnage-titre est un couch surfer, s’invitant autant qu’il est invité à dormir chez les uns et les autres dans le New York du début des années 1960. La musique – qui gagnerait sans doute à être sous-titrée – vient parfois relayer la narration, notamment lorsqu’on entend celle intitulée « Away From Home » – « loin de la maison ». Sans le sou et guitare sous le bras, il mène la vie de bohème au Village ; affrontant les vitupérations de Jean – amie avec qui il a eu une aventure et se retrouvant (peut-être) enceinte de lui. Cette dernière le surnomme le « fils raté du roi Midas », c’est-à-dire qu’il ne transforme pas tout ce qu’il touche en or. Il semble pourtant en avoir au bout des doigts et dans la voix.
Avant que l’on apprenne le nom du chat à la fin du film, le personnage et les épreuves affrontées renvoient à la figure d’Ulysse (déjà adaptée dans O Brother, Where Art Thou?), même si à cause d’un énième raté, il manquera l’appel du grand large (de la marine marchande). Au contraire, il revient fermer la boucle du récit par une scène en miroir de celle d’ouverture. Entre-temps, Llewyn et le chat qui se retrouve dans ses pattes vont connaître l’errance, passant par la route de Chicago, pour un rendez-vous pouvant tout changer – il se passe bien, mais ne change rien. Dans cette vie qui n’avance pas, il se réveille même une fois dans une chambre d’enfant avec un papier peint illustré de parties de baseball. Mais la qualité d’Inside Llewyn Davis émane justement du fait que les frères Coen évitent le portrait archétypal de l’enfant-adolescent qui n’aurait pas grandi. L’image de Bruno Delbonnel compose une dérive hivernale triste dominée par les gris et les beige, que les cinéastes trempent dans un humour savoureux et désespéré, ceci renforçant la gravité de ce personnage au beau regard sombre (excellent Oscar Isaac). À vrai dire, on n’attendait pas des cinéastes cette élégance et une telle écoute, à la fois douce et intense, pour ce(ux) qu’il(s) filme(nt). En apprenant la sélection du duo, on se disait : « Ah ! encore un énième Coen ! » À quelques heures du palmarès, il advient que ce serait loin d’être un scandale – à défaut de nécessité – qu’ils reçoivent un prix. En tout cas, ce dimanche n’a pas du tout mal commencé ; on sait que les pitreries d’un jury peuvent le faire finir beaucoup moins bien.