Un peu plus d’un an après Mank, la sortie de The Tragedy of Macbeth sur une plateforme de streaming laisse à penser que cet espace et ce biais de distribution constituent, pour des super-auteurs hollywoodiens tels que David Fincher et Joel Coen, un refuge où ils peuvent donner libre cours à une radicalité enfouie. Ces deux films d’époque en noir et blanc ont en effet un potentiel commercial qui paraît amoindri en comparaison des films précédents des cinéastes. Seulement, là où Fincher s’arrêtait sur l’âge d’or hollywoodien non pour lui rendre hommage mais pour perfectionner un certain vertige formel dont il est devenu le maître, Joel Coen convoque le fantôme d’Orson Welles pour un film qui ressemble davantage à un caprice, dont on peine à voir la nécessité au sein de sa (leur) filmographie. Accompagné par Bruno Delbonnel, il creuse un sillon formaliste d’abord déroutant, mais dont l’horizon semble bouché – c’est le risque de l’exercice de style autant que celui de l’hommage. Seules quelques puissantes visions expressionnistes se détachent du programme, mais elles concernent surtout les sorcières prophétiques, véritablement terrifiantes, et les nuées de corbeaux qui les accompagnent.
À la pierre accidentée du château troglodyte d’Orson Welles, Joel Coen préfère les surfaces lisses d’une architecture postmoderne faite de décors aérés et presque vides. Les paysages creusés sont plutôt à chercher du côté des visages des protagonistes vieillissants, souvent filmés en gros plan. Le regard torve, Denzel Washington murmure à la caméra ses tirades d’un air fatigué derrière lequel on ressent tout de même une jubilation à s’emparer de ce texte. S’il avait déjà récité des vers de Shakespeare dans le Beaucoup de bruit pour rien de Kenneth Brannagh, le voir, cheveux grisonnants, déclamer avec intensité les perfidies de Macbeth après une décennie de films d’action plus ou moins dispensables permet de rappeler l’immensité de son charisme. C’est la seule émotion qui émerge de ce film mal aimable. Macbeth fait certes partie des pièces les plus noires de Shakespeare, toujours entachée par la cruauté démesurée de Lady Macbeth (ici incarnée par Frances McDormand, la femme du cinéaste), mais Kurosawa (dans Le Château de l’araignée), plus que Welles, avait su dénicher derrière la folie meurtrière du couple une mélancolie inattendue, dont la manifestation la plus éblouissante prenait la forme de l’un des plus beaux plans tournés par le cinéaste japonais : la forêt qui marche. C’est la grande idée poétique de la pièce de Shakespeare, dont Joel Coen ne fait rien, coincé par la rigueur d’un dispositif esthétique qui ne se renouvelle presque jamais. De ce programme consistant principalement à alterner l’isolation du verbe shakespearien dans des plans serrés à des vues monumentales (qu’y a-t-il de plus beau qu’un faux ciel étoilé ?), avec un usage outrancier et romantique de la machine à fumée, on retient moins la maîtrise autoconvaincue d’un cinéaste en perte d’inspiration depuis plusieurs années que la grande vanité d’un film étriqué.