C’est avec une certaine euphorie que nous découvrîmes dimanche le nouveau film de Serge Bozon, véritable bombe aussi drôle que stimulante dans son non-conformisme. La brochette de célébrités réunie à l’affiche de Tip Top fait plus que s’encanailler dans cette enquête policière inspirée par un roman de Bill James. Deux femmes membres de la « police des polices », sont envoyées dans une petite ville du Nord pour enquêter sur la mort d’un indic’ algérien. Esther est une machine de guerre maniaque du mot « protocole » – plus que de sa substance – qui aime taper du poing sur les tables et sur son mari violoniste. Sally est une blonde godiche qui le jour, étudie de l’attitude d’Esther avec admiration et le soir, tire des délices sensuels de la vision d’un homme faisant la vaisselle en face de sa fenêtre. Isabelle Huppert et Sandrine Kiberlain rivalisent de génie anti-naturaliste dans leurs interprétations et font s’épanouir toute l’absurdité des dialogues. Quant à la folie de François Damiens, elle se glisse aisément dans son rôle de policier déterminé à faire capoter l’enquête. Autour d’eux, une galerie de personnages secondaires prend vie en toute hétérogénéité. Leurs corps, dont les attitudes forment à elles-seules un ressort comique majeur, sont pris dans une photographie sale qui rappelle les débuts du numérique. Propre, Tip Top ne l’est définitivement à aucun niveau, son cocktail de registres d’humour épars n’étant d’ailleurs pas exempt de potache.
C’est peu dire que l’intrigue policière, bien que dotée d’une certaine progression, n’en est pas une. Sans que les scènes soient totalement déconnectées entre elles, chacune tend à se suffire à elle-même. Le récit de Bozon n’a rien d’une ligne qui se déroulerait tranquillement, il repose plutôt sur le principe que le simple fait d’évoquer une chose, même dénuée de sens, par les mots ou par l’image, suffit à lui donner une réalité. Des œufs brouillés mangés à même le toit d’une voiture, des pieds qui essayent des baskets et repartent en chaussettes, une femme qui s’endort en caressant un marteau de maçon, un Algérien qui se plaît à peindre des chefs d’État français, un homme imitant avec exaltation et maladresse la chorégraphie d’un patineur artistique… Tous ces éléments d’apparence gratuite ou insensée, jetés au cours du film, finissent ainsi par former non pas un discours (sur la France, la police ou les relations franco-algériennes), mais une forme qui acquiert une certaine pertinence. Bozon accomplit finalement par la représentation et par le verbe ce que certains ont pu produire par la peinture : une résonance avec le monde qui se situe au-delà du domaine de la rationalité. Là où certains cinéastes partent d’une idée de récit classique pour s’échiner ensuite à la rendre énigmatique, la bizarrerie de Tip Top est purement positive, donc parfaitement digeste.