Alors qu’Arnaud redoute qu’il ne lui arrive rien au début de cet été il rencontre Madeleine qui, elle, craint que le pire ne se produise. Les Combattants met en scène leur rencontre et la façon dont le garçon est subjugué par l’apparition de ce physique hors norme. Car le corps de Madeleine, comme la peau d’un oignon, se compose de plusieurs couches. Interprétée par Adèle Haenel, elle est d’abord un corps dont la sensualité trouble Arnaud au début d’un été un peu morne. Sous la pluie ou dans sa piscine, Arnaud l’observe, la scrute, la détaille. Pourtant, la volupté évidente dégagée par l’actrice de L’Apollonide, Alyah ou Naissance des pieuvres se cache ici derrière le corps surentraîné de son personnage qui, face à la certitude qu’une catastrophe menace la civilisation, a décidé de se préparer à survivre. Elle nage, elle s’habitue à avaler du poisson cru, elle se renseigne sur les techniques de combat. Dessus ce corps modelé par l’entraînement intensif, il y a, enfin et surtout, la révélation d’un corps comique tout à fait inattendu. La mâchoire serrée, les membres qui tressaillent, toujours prêts à fuir ou à frapper, la diction acérée : Adèle Haenel compose un personnage paranoïaque dans un film qui lui, ne l’est pas, et qui fait rire par son opiniâtreté à se rendre antipathique à son entourage.
Sorte de variation sur le Take Shelter de Jeff Nichols, Les Combattants reprend cette idée que face à l’angoisse immense et informe d’une génération, il faut répondre par la précision des gestes de lutte pour sa survie. Le personnage interprété par Michael Shannon construisait et équipait son abri pour y installer sa famille, Madeleine, elle, remodèle son corps afin qu’il survive à la catastrophe planétaire tant redoutée. Elle le transforme en arme de combat en vue d’être parfaitement autonome.
Lors du stage militaire extrême qu’elle a choisi de suivre, une camarade de chambrée remarque : « T’es super musclée, qu’est-ce que tu fais dans la vie ? – De la macro-économie », répond Madeleine, tranchante. L’originalité et sa puissance comique semblent bien tenir dans ce raccourci orchestré presque systématiquement par la mise en scène : faire de la maîtrise de son propre corps une action sur le contexte socio-économique dans lequel on vit. Madeleine cherche des réponses concrètes, immédiates et tangibles à des problèmes idéologiques, mondialisés et de long terme. Apprendre qu’on peut s’uriner dessus en cas d’ensevelissement sous une avalanche pour connaître le sens de la pente et savoir dans quelle direction creuser, représente par exemple pour elle une satisfaction intense.
Si l’histoire d’amour entre un garçon et une fille pris dans les angoisses de la réduction des possibles au début de l’âge adulte est très simple, ce que le film réussit magnifiquement, c’est le passage d’un registre à l’autre du corps gigogne de Madeleine. Lors du stage militaire où Arnaud a suivi Madeleine, l’apprentissage du camouflage l’amène à recouvrir de maquillage noir le visage de sa partenaire. Belle idée de matérialisation du désir dans lequel la main de l’amoureux, qui en touchant pour la première fois le visage tant convoité vient en recouvrir les traits. Crispé comme un chien prêt à mordre, le visage d’Adèle Haenel se métamorphose dans la dernière partie du film et retrouve la grâce qu’on lui connaît.