Attendue au tournant après le succès d’estime de La Bataille de Solférino, Justine Triet s’est attelée pour son deuxième long-métrage, qui fait l’ouverture de la Semaine de la Critique, à une comédie romantique placée sous le signe du chaos et du désordre. Désordre domestique, désordre sentimental, désordre professionnel : la vie de Victoria, célibattante qui jongle entre son métier d’avocate, ses histoires d’un soir, son ex-mari rancunier et ses deux petites filles, constitue un cadre a priori idéal pour ce cinéma innervé par une inspiration cassavetienne. Pour autant, le film est en évidente rupture avec La Bataille…, dont la réussite tenait à cette imbrication entre la matière documentaire de son dispositif (l’effusion d’une soirée électorale) et la tornade émotionnelle qui emportait cet ex-couple en guerre. Ici, la caméra se pose et cherche à enchevêtrer avec fluidité les dialogues et les situations, comme en témoigne le télescopage de conversations entre les adjuvants (le psy, le médium, le confident joué par Vincent Lacoste, etc.), partenaires de jeu qui gravitent autour de Victoria et lui renvoient la balle. Le film ressemble ainsi à un long ping-pong verbal, entre épanchements et plaidoiries, sous la forme d’une continuité dialoguée. C’est toutefois la grande et irréductible limite du film que de s’enfermer dans un automatisme qui gouverne l’ordonnancement de séquences (champ, contrechamp, décadrage pour filmer les personnages ensemble, et ainsi de suite) reposant sur le seul talent des comédiens.
Si La Bataille… puisait sa force de flux d’énergie (excitation, montée en puissance, explosion, apaisement), Victoria évite au contraire de se confronter au cœur de ses scènes. Comme le montre, par exemple, la plaidoirie finale de l’héroïne, avortée au moment où le prolongement de la séquence aurait permis enfin à ce corps fatigué de chanceler et de produire du comique. Car si Triet cherche à égratigner l’image de la fine Virgine Efira, sa mise en scène, qui se crispe sur les visages, ne parvient pas à rendre compte de la fatigue de cette femme qui transite d’un lieu d’un autre, toujours en train de courir, toujours en train de reprendre son souffle. D’où ce vidéo-clip embarrassant qui surgit aux deux tiers du film, lorsque six mois d’inactivité et de dépression de Victoria sont résumés en une série de vignettes dignes d’une mauvaise rom-com. Ce procédé dit bien l’impuissance de la réalisatrice à trouver la forme adéquate pour suivre le parcours mouvementé de son héroïne.