Le Jour d’après s’ouvre sur une scène bouleversante. Bongwan, éditeur et critique littéraire, commence à passer à table. Sa femme le taquine : « Tu as l’air différent », lui dit-elle d’abord, « Tu n’aurais pas maigri ? », lui demande-t-elle ensuite, avant que ne tombe l’embarrassante question, celle qui va lancer le film, « Dis-moi, tu n’aurais pas trouvé une maîtresse ? ». Bongwan force un petit rire, nie d’un rictus, mais l’épouse revient à la charge. L’homme baisse les yeux, continue à manger, peine à fixer sa femme du regard. Il n’arrive pas à lui dire, il n’arrive pas non plus à mentir, il tripatouille sa cuillère sans savoir trop comment se départir de cette situation délicate. De fait, Bongwan apparaît dans la première partie du film comme un personnage perdu, qui arpente des rues désertes la nuit et l’aube dans différentes scènes dont on ne sait si elles épousent ou non une logique chronologique. Tiraillé entre sa femme et son amante (qui est aussi son employée), l’éditeur semble saisi d’un doute existentiel dont la véritable nature sera toutefois révélée par une troisième figure, Areum, une jeune femme que Bongwan engage pour remplacer son amante Changsook, qui semble avoir quitté la ville. Pendant un temps, dans le sillage d’un superbe raccord qui opère un retour en arrière et fait se succéder Areum et Changsook, on se demande si la première ne serait pas l’extension de la deuxième, un double possible, voire pour Bongwan un substitut à cette amante qui lui manque. Il n’en est finalement rien, mais l’incertitude que travaille l’écriture de Hong Sang-soo (bien que ce film-ci ne soit pas son plus joueur) conditionne le spectateur à supputer toutes formes d’hypothèses narratives, pour mieux finalement déjouer ses attentes en adoptant une narration assez linéaire.
C’est ce qui fait notamment la force de la magnifique scène du retour de l’amante perdue : au soir du premier jour de travail d’Areum, Bongwan emmène sa nouvelle employée au restaurant. L’éditeur s’en va aux toilettes, et un raccord le plonge alors dans les bras de sa bien-aimée disparue. Est-ce un rêve ? Une réminiscence ? Du tout : par un décadrage, voilà qu’Areum rentre dans le plan, elle aussi aimerait bien passer aux toilettes. C’est une entrée dans le champ toute simple, presque anodine, et pourtant elle remet de l’ordre dans la fiction : Bongwan va devoir prendre des décisions, faire face à sa couardise et à ses mensonges, mais surtout répondre en filigrane à la question que Areum lui a posé plus tôt dans la journée : « Pour quoi vivez-vous ? » Comme dans Un jour avec, un jour sans, avec lequel le film partage une fin analogue, Le Jour d’après met aussi en scène la bascule d’un point de vue – celui d’un homme veule, mais touchant par l’incertitude qui le taraude – à un autre, celui d’une jeune femme qui n’a rien à faire avec le triangle amoureux initial, et qui pourtant finit peu à peu par devenir le pivot de l’intrigue. Le film se finit d’ailleurs par un échange entre les deux personnages : Bongwan revoit Areum plusieurs mois plus tard, il ne la reconnaît pas tout de suite mais il lui raconte pourtant sa vie, l’évolution de ses déboires sentimentaux, et l’on comprend alors le rôle primordial qu’a joué cette jeune femme dans la vie de cet homme. Ils prennent un café, il lui donne un livre, elle repart sous la neige. Quelque chose a circulé, ils ne sont plus tout à fait les mêmes après s’être rencontrés : c’est tout simplement ce que raconte tortueusement ce très beau film.