Présenté en compétition au Festival de Cannes, Le Jour d’après est apparu comme une véritable bouffée d’air cinématographique tranchant par la légèreté de son dispositif (une évidence chez Hong Sang-soo : une poignée d’acteurs, des décors communs, une caméra fixe réduite à quelques zooms ponctuels) et l’ironie pince-sans-rire de sa mise en scène. Au-delà d’un assez classique chassé-croisé amoureux et d’un nouveau quiproquo équivoque (la femme du personnage principal croit que sa nouvelle assistante est sa maîtresse), Hong Sang-soo y creuse le sillon formel développé depuis quelque temps dans son cinéma (d’In Another Country à Yourself and Yours), marqué par un entrelacement temporel qui atténue la frontière entre réel, désir et souvenir. Alors que son avant-dernier film présenté à Berlin, On the Beach at Night Alone, n’est pas encore sorti, et qu’il présentait en parallèle à Cannes La Caméra de Claire, Hong Sang-soo rejoue ici les infinies variations du motif de l’homme pris entre plusieurs femmes, des aléas de l’infidélité et de la lâcheté masculine, en y intégrant, par son travail du montage, une mise en doute du réel et l’organisation, au sein d’un même film, de récits alternatifs (notre article cannois décrivait déjà à ce titre plusieurs exemples de situations de mise en doute du réel).
Autoportrait à charge
Le Jour d’après fait le portrait de Bongwan, un éditeur charmeur et lâche qui recrute une nouvelle assistante, Areum, suite au départ de la première avec laquelle il a eu une liaison. Le premier jour d’Areum est paisible, jusqu’à l’arrivée agressive de la femme de l’éditeur qui, venant de découvrir une vieille lettre d’amour adressée à son mari, croit venir châtier la coupable. Si la jeune assistante est renvoyée suite à ce quiproquo (et au retour, inattendu, de la première assistante), le film dévoile surtout la mauvaise foi de Bongwan, dont la séduction inconsciente d’Areum, menée incidemment, comme par habitude (compliments subtiles, déjeuner au restaurant, cordialité ambiguë), n’échappe pas à la caméra. Car, comme Yourself and Yours, Le Jour d’après raconte en réalité la crise personnelle du cinéaste, homme marié dont l’histoire d’amour avec une actrice plus jeune, rencontrée sur le tournage d’Un jour avec, un jour sans (Kim Min-hee, qui incarne Areum dans le film), brise la première partie de sa vie. Comme une autocritique mélancolique et lucide de ses propres faiblesses et contradictions.
Des amours parallèles
Une fois de plus, le film met en jeu les traits caractéristiques du cinéma de Hong Sang-soo : de longs repas arrosés, une ivresse latente, un dispositif resserré sur une poignée d’acteurs (ici trois), des rues désertes et des intérieurs marchands de Séoul (la boutique, le restaurant). Mais ici, on sent aussi très directement la difficulté du cinéaste à parler de sentiments à froid, hors de tout lyrisme : le film désamorce cet enjeu en portant, sur certaines séquences, une mélodie surannée qui sonne comme un clin d’œil ironique au romantisme auquel le personnage se soustrait. Des séquences larmoyantes surjouent le lyrisme et contrastent avec le calme lâche du personnage, tandis que la photographie, d’un très beau noir et blanc ponctuellement surexposé, invite à ausculter les personnages sous une lumière crue et directe tout en évoquant des silhouettes fantomatiques ou fantasmées.
Car Le Jour d’après joue, comme Yourself and Yours, de la désorientation du spectateur : par un montage ambigu qui raccourcit ou en allonge sans préavis le temps du récit, il entretient la confusion, sème le doute (le même que celui de la femme de Bongwan) et ouvre des interprétations alternatives du réel. C’est la mise en image de la faiblesse d’un homme tiraillé : vivant et désirant deux réalités en même temps, mentant et s’accommodant des situations, oubliant et se souvenant selon son rythme propre. Le Jour d’après confirme ainsi la capacité de son auteur à réduire à son plus simple le drame d’une relation amoureuse tout en en reconstituant les subtilités, le trouble et l’épaisseur d’un vécu.