En attendant la sortie de Memoria, dernier long-métrage d’Apitchatpong Weerasethakul reporté sine die suite à l’annulation du Festival de Cannes, le cinéaste thaïlandais a réalisé un nouveau court, disponible sur la chaîne de la Polygon Gallery. D’une durée de cinq minutes, October Rumbles repose sur un dispositif très simple : l’enregistrement du mouvement d’un store balayé par le vent. Dans la lignée de Blue, autre court à la scénographie minimale, la toile s’apparente évidemment à un écran de cinéma où émergent, par des effets de transparence (une superposition d’images qui n’est perceptible que dans les zones les plus sombres du cadre), des morceaux de roche, un rayon de lumière fluorescente, un homme qui pénètre les profondeurs d’une grotte… La dimension spirituelle et animiste des films de Weerasethakul se retrouve contenue en un seul plan composite : sur la toile surgissent lumières et esprits, comme une jungle où cohabiteraient plusieurs strates et modes d’existence. On se souvient d’une scène marquante de Cemetery of Splendour, où deux femmes traversaient un palais invisible dans une forêt aux allures de fond vert. October Rumbles figure la même cohabitation : le noir de la toile accueille la lumière de l’extérieur, le minéral se confond avec le végétal, le synthétique avec le naturel, les images incrustées avec celles directement filmées. Tous ces éléments s’entremêlent et se confondent au cours d’une brève mais intense méditation visuelle, qui s’avère également intéressante par son recours au support vidéo. La basse définition et la compression impliquent une perte de qualité, générant des artefacts bleus et roses sur la surface de l’image. La matière vidéo semble recevoir des petites gouttes de pixels, en plus d’être prise dans une indistinction graphique en l’absence de netteté. Sur ce point, Octobers Rumbles évoque Chuva de Jacques Perconte, dans lequel la pluie initiait une pixellisation synonyme de voyage vers l’abstraction. Chez Weerasethakul, l’image exhibe elle aussi ses pulsations, affirme son instabilité et son hétérogénéité. Le tout dernier plan, sur la végétation luxuriante bordant la maison du cinéaste, vient synthétiser cette belle trajectoire : dans le fouillis des feuilles, des branches et des racines qui se chevauchent, surgit une intense lumière, la lampe torche d’un homme qui s’éloigne peu à peu dans la profondeur – celle de la caverne, de la forêt, mais aussi celle de l’image dans laquelle il finit par disparaître, tel un fantôme.