The Souvenir Part II ne va pas sans sa première partie, toujours inédite à ce jour, qui a fait l’objet d’une critique dans nos colonnes à l’occasion de sa présentation au festival de La Roche-sur-Yon. Les deux volets composent une œuvre autobiographique vertigineuse relatant les jeunes années de formation de la cinéaste britannique Joanna Hogg, Julie (Honor Swinton Byrne) dans le film. Vertigineux, le mot n’est pas trop fort pour décrire un projet qui multiplie les effets de mise en abyme et s’adosse à un système d’auto-référencement particulièrement tortueux. Voyez plutôt : la cinéaste britannique dresse son portrait de jeunesse, dont elle confie l’interprétation à la fille de Tilda Swinton, qui joue dans le film la mère de Julie ; cette même Swinton qui fut l’une des premières collaboratrices de Hogg et joua également son rôle dans le court-métrage de fin d’études de la cinéaste, un autoportrait déjà intitulé The Souvenir… Le diptyque qui nous est présenté est autant le récit de la fabrication de cette œuvre originelle que son prolongement, voire son accomplissement, trente ans plus tard. Si l’on considère enfin que le milieu dépeint est celui d’apprentis cinéastes londoniens en pleine réflexion sur la forme à donner à leur cinéma, et que, surtout, Hogg essaie de révéler par sa mise en scène les doutes et les renoncements qui l’ont transformée (l’artiste comme la femme) à cette époque, on délimite malhabilement les contours d’un programme ambitieux.
Mais ce n’est pas tout ! The Souvenir est aussi le titre d’une peinture impressionniste représentant une jeune femme amoureuse, que lui a fait découvrir son amant héroïnomane et dans laquelle Julie se projette. C’est là, dans le rapport à cette représentation faussée, que les deux films trouvent leur ligne de clarté et le sens de leur coexistence : d’abord (partie 1) Hogg se voit en Julie, peinte comme la figure du tableau, prise dans le tourbillon d’une passion toxique (c’est le cas de le dire), puis (partie 2) Hogg filme Julie faisant son autoportrait, le fameux film de fin d’étude, dans un nécessaire mouvement d’éloignement d’avec la peinture, chargée du souvenir de son amant. Si la première partie recourait à de nombreux effets de style (jeu de miroir, cadre dans le cadre, voix désynchronisée et musique d’opéra) en multipliant les ellipses, la seconde partie, sans se départir totalement de quelques boursouflures, se recentre sur les temps morts et les dialogues, en s’octroyant de beaux moments de comédie. Dans les conversations avec ses parents ou ses collaborateurs, tour à tour légères ou âpres, Julie semble en proie au doute, hésitante. Le thème de la fragilité de la création artistique se dévoile ensuite plus clairement, faisant contrepoint au sentiment de toute-puissance que la mise en scène de la première partie infusait.
Si le second film apparaît ainsi de prime abord moins séduisant, il se montre plus émouvant en creusant plus profondément le sillon du rapport de la cinéaste avec son cinéma. Celui-ci devient l’enjeu principal – Hogg situe l’action essentiellement sur le plateau de tournage qu’on entrevoit à peine dans le premier film –, Julie expérimentant sans cesse pour enfin obtenir une image juste d’elle-même : ce regard sincère qu’elle perçoit dans le visage de l’actrice qu’elle a choisie pour l’incarner. Cet apaisement se matérialise aussi à l’écran par l’effacement progressif des obstacles qui nous empêchaient de regarder Honor Swinton Byrne dans les yeux, elle qui jusque-là était surtout filmée de dos, de profil ou par le biais d’une surface réfléchissante. Si la toute fin du film recentre un peu inutilement le propos sur le motif de la mise en abyme, elle ne gâche pas le beau sentiment d’avoir accompagné, par l’affirmation de son talent de cinéaste, une personne faisant la paix avec elle-même.