Si la découverte de Feu follet suscite un réel enthousiaste, c’est peut-être parce que la mise en scène se révèle proprement érotique, au sens où elle repose moins sur un chapelet de scènes affriolantes mises bout-à-bout (ces dernières sont somme toute assez rares) que sur une écriture directement indexée sur le mouvement de corps gagnés par le désir. « Je chante pour que se termine l’âge de la royauté et qu’advienne l’âge du phallus » déclame, à la fin du film, un chanteur de fado. Cette réplique révèle peut-être quelque chose de l’entreprise de João Pedro Rodrigues, dont l’écriture repose sur l’alternance de scènes illustrant le repos et l’érection du sexe masculin. Le récit se focalise sur la figure d’Alfredo, Prince du Portugal en froid avec la famille royale et qui fait soudain part de son désir d’entrer chez les sapeurs-pompiers. Son arrivée chez les combattants du feu s’accompagne d’une initiation homosexuelle où la rigidité morale de ses jeunes années laisse rapidement place à des parties de plaisir hédonistes. Les premières scènes montrent, dans un dispositif résolument théâtral (adresses au public comprises), Alfredo et ses parents raides comme des piquets, pérorant sur la vermine socialiste responsable de la décadence du pays. Le comique de ces séquences tient autant à la drôlerie des dialogues (notamment, la citation incongrue d’un discours de Greta Thunberg) qu’à la rigidité des protagonistes, sortes de poupées de cire grotesques sorties de chez Madame Tussauds. On pourrait dire que se trouve là le pôle érectile de la mise en scène de Rodrigues. D’abord, dans l’apparente raideur de la direction d’acteur, mais aussi dans cette manière qu’a le cinéaste de surcharger ses plans de détails grivois, qui culmine lors d’une scène champêtre où le roi fait l’inventaire des arbres sur sa propriété : vigoureux, gorgés de sève des racines jusqu’aux branches, les conifères font l’objet d’un éloge de la part du monarque qui y voit le totem d’un pouvoir royal, tandis que Rodrigues les filme comme le prolongement direct de l’appendice masculin devant lesquels Alfredo se met à bander. La métaphore ne cessera d’être filée tout au long du film, jusqu’à une scène tardive, peut-être un peu trop claire, où le Prince fait la liste des essences présentes sur le sol portugais face à une série de photographies représentant des verges.
Il n’est toutefois pas certain que ce soit vraiment la virilité qui fascine Rodrigues dans le sexe, mais plutôt l’étonnante plasticité de l’organe, filmé au repos comme une masse de chair tordue et repliée sur elle-même. Chose rarement montrée au cinéma, ce dernier est capable de toutes les contorsions, comme le corps des soldats du feu érotomanes qui prennent, lors de l’arrivée d’Alfredo, des poses lascives supposées reproduire les grands tableaux d’artistes gay (du Caravage à Francis Bacon), dans des compositions à la fois lubriques et d’une grande beauté. Tout le trajet du film semble donc consister à tordre le corps du Prince, par l’amour mais aussi par la danse (rappelons que Feu follet est aussi une comédie musicale), notamment lorsque Alfredo prend part à un vaste ballet au cours duquel la caméra se libère du carcan des plans fixes pour adopter les mouvements plus amples et sophistiqués d’un steadicam. Certes, cette utopie de la jouissance reste une parenthèse enchantée (le film est encadré par un prologue et un épilogue nettement plus mortifères). On est même en droit de penser qu’en dépit de sa courte durée, le film ne parvient pas entièrement à maintenir sur la longueur le plaisir distillé par les meilleures séquences (la dernière, en forme d’enterrement camp, s’avère en deçà). Mais face à cette fantaisie modeste, qui parvient à allier la rigueur à un désir débridé, ne boudons pas notre plaisir.