L’enthousiasme suscité par la découverte de Feu follet tient peut-être à la nature proprement érotique de sa mise en scène, dont l’écriture semble directement indexée sur le mouvement des corps gagnés par le désir. « Je chante pour que se termine l’âge de la royauté et qu’advienne l’âge du phallus » déclame, à la fin du film, un élégiaque fardé : à sa manière, João Pedro Rodrigues s’inscrit ici dans une généalogie remontant au surréalisme, où l’irruption d’un désir furieux vient mettre à bas la rigidité d’un système politique conservateur. Encadré par deux scènes futuristes au ton nettement plus mortifère, Feu follet s’avance ainsi comme une parenthèse enchantée. Le cheval de Troie de cette entreprise carnavalesque, c’est le Prince Alfredo (Paulo Bragança), futur monarque amené à quitter ses pénates aristocratiques pour s’acoquiner avec une bande de pompiers érotomanes, prolétaires et racisés. Si le film charge parfois un peu la barque (notamment lors de la scène finale en forme d’enterrement camp, en-dessous du reste), il séduit davantage lorsqu’il adopte un principe ludique d’alternance entre des scènes illustrant le repos et l’érection du sexe masculin. Le pôle érectile de sa mise en scène apparaît dès les premières minutes, le temps d’un prologue au cours duquel la famille royale apparaît dans un décor rectiligne et guindé, à la manière de statues de cire de chez Madame Tussauds. Un humour bizarre et composite, tout en stéréotypes, mots d’esprits et discours militants (dont une citation, incongrue, de Greta Thunberg) vient démolir le décorum aristocratique au profit d’une satire drolatique singeant la forme d’un happening théâtral (adresses au public incluses). Non sans pertinence sur le plan politique (on note quelques charges contre le passé colonial du Portugal, première nation esclavagiste en Europe), ces scènes de vaudeville princier annoncent surtout le ton léger du reste du film, pochade d’autant plus réjouissante qu’elle flirte souvent avec le mauvais goût.
Au sein d’un récit resserré (le film dure moins d’1h10) s’enchaînent une série de scènes surchargées de détails symboliques renvoyant tous à l’obsession sexuelle du héros, pas encore sorti du placard. Ainsi d’une balade champêtre où le roi fait l’inventaire des arbres sur sa propriété : vigoureux, gorgés de sève des racines jusqu’aux branches, les conifères font l’objet d’un éloge de la part du monarque qui y voit le totem du pouvoir royal, tandis que Rodrigues les filme comme le prolongement direct de l’appendice masculin devant lesquels Alfredo se met à bander. La métaphore ne cessera d’être filée tout au long du film, jusqu’à une scène tardive où le Prince fait la liste des essences présentes sur le sol portugais face à une série de photographies représentant des verges débandées. Il n’est d’ailleurs pas certain que ce soit la virilité qui fascine véritablement Rodrigues dans le sexe, mais plutôt l’étonnante plasticité d’un organe qui est capable de toutes les contorsions au repos. Le temps d’une drôle de scène, ses soldats du feu deviennent par exemple de véritables « bites sur pattes » en assemblant leurs corps avec souplesse dans des compositions baroques supposées reproduire les grands tableaux d’artistes gay (du Caravage à Francis Bacon). Le flétrissement des chairs d’Alfredo, après l’effort ou l’amour avec son compagnon Alfonso (André Cabral), devient le symbole d’un idéal de lâcher-prise rompant radicalement avec la pompe cérémoniale de la couronne. En parvenant à mêler la rigueur au spectacle d’un désir débridé, Feu follet dévoile alors sa véritable nature d’utopie joyeuse où sexe, sport et danse restituent aux hommes la maîtrise de leurs corps et laissent entrevoir la possibilité d’une harmonie amoureuse capable de surmonter les antagonismes sociaux.