L’Autre Laurens semble contenir plusieurs films en un. Sa très mystérieuse ouverture dessine les fondations de l’un d’entre eux ; au bord d’une route sont plantés côte à côte un cactus solitaire et un lampadaire paré de deux néons roses. Le plan, stylisé, ressemble à la couverture d’un polar édité chez Rivages Noir, tandis que la scène qui suit, avec son rythme alangui, ses gangsters espagnols étranges et sa femme fatale américaine, lorgne vers les derniers faits d’arme de Nicolas Winding Refn (Too Old to Die Young et Copenhagen Cowboy). On croit alors que l’action se situe quelque part au Mexique ou en Arizona, et non près de la frontière franco-espagnole comme on le comprendra plus tard. Cette première identité nocturne, dont on retrouve trace à plusieurs moments clés du récit, s’estompe toutefois pour laisser place à un ersatz catalan de Vertigo. Olivier Rabourdin incarne Gabriel Laurens, un détective privé (mais il préfère le titre d’« agent privé de recherche »), dont le frère jumeau, François, vient de mourir dans un accident de voiture. Jade (Louise Leroy), la fille de ce dernier, embauche son oncle pour enquêter sur les circonstances mystérieuses de sa mort. De ce duo iconoclaste entre le détective débraillé et cette ado aux airs de Bardot, Claude Schmitz tire malheureusement un récit un peu convenu autour d’une histoire familiale pleine de non-dits et de conflits en suspens, qui s’acoquine mal de l’enquête à la Chinatown.
À l’exception de son improbable dénouement, le film ne parvient jamais vraiment à troubler sur ce versant hitchcockien (Laurens est un Scottie à la recherche de son propre double), qui se partage entre une symbolique lourde (la séparation des deux frères a eu lieu le 11 septembre 2001, alors que les tours jumelles s’effondraient) et des ébauches d’intrigues sentimentales. Le meilleur de L’Autre Laurens réside plutôt dans les interstices centrés sur une poignée de bras cassés au look aberrant : un duo de flics et une bande de motards (les « Perpignan Bikers »). La drôlerie de ces vignettes, souvent filmées en plan-séquence, rappelle le burlesque et la mélancolie de Braquer Poitiers (on retrouve d’ailleurs avec plaisir Francis Soetens dans le rôle de l’un des policiers). Détachées de la trame narrative, les répliques, aussi bêtes qu’insolites, y fusent avec liberté. Dommage que le film n’adopte pas plus souvent cette nonchalance, et cède à la tentation du scénario bouclé (qui contraint l’imaginaire de ce jeune cinéaste). Une fuite tragicomique en hélicoptère, dans les dernières minutes, laisse tout de même entrevoir la singularité d’un auteur en devenir.