Producteur et coscénariste d’Athena, Elias Belkeddar s’inscrit avec Omar la fraise dans le sillon des films issus du collectif Kourtrajmé (fondé par Romain Gavras et Kim Chapiron), avec lesquels il partage un certain goût de l’épate, mais aussi l’intention de donner une visibilité accrue à la jeunesse des banlieues, longtemps reléguée aux marges de l’industrie du cinéma français. Ce premier film suscite ainsi davantage la curiosité par sa manière de documenter les cités vétustes d’Alger que par la trajectoire attendue de son personnage principal. Légende du grand banditisme contraint de se mettre au vert, Omar (Reda Kateb) part se cacher en Algérie aux côtés de son mentor Roger (Benoît Magimel), qui lui conseille de devenir l’associé d’un dealer reconverti dans le business légal des biscuits orientaux. Au lieu de se contenter d’une banale histoire de rédemption, le premier tiers du récit a le mérite de jouer sur deux tableaux en même temps : le film se présente comme une « lettre d’amour » aux quartiers populaires de la capitale algérienne, tout en s’inscrivant dans un lignée franchouillarde de comédies mafieuses parodiques, dont Les Tontons flingueurs reste encore aujourd’hui le modèle. D’où le mélange permanent de dérision et d’excès caractérisant à la fois les personnages et la mise en scène, qui ne lésine pas sur les effets clinquants et les clins d’œil ironiques – cf. la mendiante qui lance tout sourire au spectateur : « Bienvenue en Algérie ! », après la scène de bagarre inaugurale.
Véritable cœur battant du film, Benoît Magimel parvient à y insuffler des ruptures de ton brisant la monotonie des séquences, notamment lorsqu’il se met à parler arabe, à rapper ou à danser en djellaba sur le toit de sa villa. Son corps massif en fait dans le même temps une sorte de prolongement moderne des « grandes gueules » du cinéma populaire des Trente Glorieuses, comme lors de la scène, vraiment hilarante, où l’acteur se met à hurler « T’es Belge ?! Tu veux le baiser ?! » à un malfrat venu faire ses révérences à Omar. Il disparaît hélas trop vite après une pirouette du scénario, qui peine ensuite à susciter le moindre intérêt. Bifurquant successivement vers la comédie romantique et le récit de vengeance, Omar la Fraise se termine même sur un finale paternaliste contredisant le désir d’élever les crève-la-faim du lumpenprolétariat algérois au rang de figures mythiques. Omar se voit ainsi offrir le beau rôle lorsqu’il devient, sans raison apparente, le mentor de petites frappes issues de la cité « Climats de France », n’hésitant pas à leur faire la leçon à cause de leur manque de « professionnalisme ». Cette manière de rejouer inconsciemment une logique de domination coloniale (Omar est né en France et dit ne pas avoir l’Algérie dans le sang) finit par faire de ces jeunes délinquants de simples « ensauvagés » : renforcée par la frénésie des mouvements de caméra et les ralentis, le sadisme gratuit dont ils font preuve lors de leurs exactions (ils découpent une oreille à la pince Monseigneur ou grillent le visage d’un cuisinier sur une plaque brûlante) souligne combien ces gamins doivent être pris en main par leur bon maître. Et lorsqu’Omar, en bon patriarche, finit par « adopter » toute cette tribu lors d’une scène d’un sentimentalisme gênant, le film finit par révéler son profond conformisme, typique de l’œuvre faussement subversive des Gavras, Chapiron et consorts.