C’est une forme d’inversion de l’imaginaire du far west, longtemps considéré comme l’espace de tous les possibles, qu’opère The Sweet East en envisageant cette fois-ci la côte Est des États-Unis comme un échappatoire à un foyer auquel Lillian semble ne plus vraiment appartenir. Prise dans une fusillade lors d’une sortie scolaire, elle s’en échappe pour ensuite naviguer de rencontre en rencontre entre la compagnie d’un groupe de punks, d’un universitaire suprémaciste, d’islamistes ou encore de moines rigoristes. Sean Price Williams figure la liberté que représente cette fugue par un rythme effréné, découpant les scènes en multipliant les très gros plans, comme si seul le montage pouvait rassembler entre eux les fragments des espaces traversés par Lillian. Si ce rythme intense, auquel se couple une esthétique arty appuyée, paraît un (court) temps viser une forme d’épate, Williams fait de la matière impure de ses images le reflet de la complexité insondable de son personnage. C’est bien sa fascination envers sa remarquable actrice, Talia Ryder, qu’il exprime à travers cette matière visuelle, allant jusqu’à saturer l’espace de sa présence. Il fait en outre rejaillir cet émerveillement sur les figures qui gravitent autour d’elle, cherchant à capter dans leurs interactions l’attrait mystérieux du personnage. Une belle scène en témoigne : Lawrence, le suprémaciste qui prend un temps Lillian sous son aile, la regarde dormir, assis à distance de son lit au lieu de l’y rejoindre comme elle l’y avait invité, désamorçant ainsi le caractère érotique de la scène. Le regard est ainsi souvent figuré comme le plus précieux des rapports humains, jusqu’à devenir l’argument principal – voire unique – des plans.
L’autre singularité du montage frénétique tient à ce que le film parvient à saisir l’immensité du territoire états-unien tout en ne cessant de le fragmenter, les mouvements brusques et la multiplication des points de vue renforçant le sentiment que tout peut s’y jouer en une seconde : il suffit par exemple qu’un panoramique organise une rencontre impromptue entre Lillian et une réalisatrice en recherche d’acteurs pour que le récit prenne un virage radical. Par le cloisonnement en grands chapitres associés à des espaces bien précis – un élément parmi d’autres que le film emprunte aux codes du conte, et particulièrement à Alice aux pays des merveilles – le film n’a de cesse de détourner le road movie qu’il paraît un temps mettre en place pour briser la linéarité de la trajectoire de Lillian, qui déambule le sourire aux lèvres dans la douceur de l’est.